Avec “Insulaires”, l’auteur raconte l’île dont il est originaire d’un ton malicieux et doux-amer Entre grande histoire, légendes et inventions personnelles.
Auteur récemment d’une hilarante biographie des Doors (Les Portes), Prosperi Buri convie à une singulière visite de l’imagerie et de l’histoire bretonne, et plus particulièrement celles de l’île de Groix, dont il est originaire. Il retrace tout d’abord le début d’un (vrai) reportage pour France 3 Ouest de Roger Gicquel (appelé ici Jikel) filmé en 1994 sur l’île.
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D’emblée, le ton est donné : en voyant comment l’auteur s’amuse à imaginer les coulisses du tournage et notamment un Jikel radin et peu sportif (il est incapable d’aller au centre-bourg à vélo comme prévu et la scène doit être retournée et montée), on comprend qu’il va s’arranger avec la vérité et prendre des libertés avec les légendes.
Dans des récits de longueurs variées, au dessin hachuré en harmonie avec les paysages tourmentés de l’île, Prosperi Buri passe en revue l’histoire de Groix, des envahisseurs normands au dépeuplement récent, de l’enrôlement des marins par la Compagnie des Indes au XVIIe siècle au tourisme effréné. Il se base parfois sur des documents historiques comme la correspondance de deux médecins de marine, qui lui permet de retracer une épidémie de dysenterie au XVIIIe.
Histoires quotidiennes et légendes démythifiées
A travers cette relecture personnelle, son propos cherche à démythifier une Bretagne qui souvent aime cultiver son pittoresque. Prosperi Buri utilise aussi ses souvenirs et va jusqu’à créer ses propres fables, transposant avec habileté un passage d’un roman de Flann O’Brien situé à l’origine en Irlande. Toujours, Prosperi Buri imprime son ton malicieux et doux-amer sur ces histoires.
L’auteur procède par sous-entendus souvent chargés de sens, traite de tout, et notamment du morbide, avec humour. Il révèle les dessous du pittoresque (non, le Trou du Diable ne cache pas un monstre mais oui, des touristes escaladant sa paroi y ont bien trouvé la mort) et réécrit à sa manière, rationnelle, les légendes. Par exemple, il attribue à un phénomène soi-disant surnaturel (des bébés enlevés par une créature marine) des causes terriblement terre à terre (les femmes se débarrassent de leurs enfants non désirés).
En filigrane, Prosperi Buri se fait aussi passeur de l’histoire quotidienne des insulaires en évoquant, avec précision, mordant et néanmoins affection, le rôle de l’église, les superstitions, la dureté des conditions de vie… Une transmission délicieusement postmoderne des traditions et du passé. Anne-Claire Norot
Insulaires – Petites histoires de Groix (Warum), 104 p., 18 €
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