Dans un communiqué resté relativement inaperçu depuis début janvier, la police de Rotterdam annonce qu’elle se donne le droit d’arrêter et de déshabiller les jeunes gens « apparemment pauvres et portant des vêtements de luxe » tant que preuve n’aura pas été établie qu’ils les ont obtenus légalement.
A Rotterdam, aux Pays-Bas, le trafic de drogue s’est développé activement ces dernières années. Pour endiguer les ventes de produits illicites et décourager les jeunes d’y prendre part, la police municipale a mis au point une mesure pour le moins controversée. Le 3 janvier 2018, un rapport a été dressé sur la prochaine capacité des agents à arrêter les jeunes « ayant l’air pauvre » qui arborent des vêtements ou accessoires luxueux. Plus précisément, « des montres Rolex, des vestes Gucci, et tout ce genre d’habits« , comme l’a annoncé un porte-parole, ceci dans le but de décourager les jeunes gens, en leur montrant que le crime ne paie pas. La mesure, vivement discutée, n’a pas encore pris effet.
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Toutefois, les grandes lignes sont déjà dessinées : dans certains quartiers pré-définis, les policiers sont autorisés à interpeller les jeunes hommes – normalement tous déjà fichés par leurs services – pour les questionner sur l’origine de leurs apparats, et à les confisquer en cas de suspicion ou de justification insuffisante quant à l’obtention des pièces incriminées.
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« Nous les déshabillerons dans la rue »
Selon les mots du chef de la police Franck Paauw, relayés par le quotidien De Telegraf : “Ils [les jeunes criminels] sont souvent des garçons qui se croient imprenables. Nous les déshabillerons dans la rue. » Des propos nuancés par le porte-parole de la police de Rotterdam, qui l’explique ainsi : « Nous savons que ces jeunes gens portent des vêtements trop chers comparé à ce qu’ils gagnent. Nous allons vérifier comment ils se sont procuré ces vêtements, où ils les ont achetés, et avec quel argent. »
Le service de presse de la police locale tempère : “Nous n’allons pas déshabiller les promeneurs et les touristes, seulement des jeunes ciblés« . L’inquiétude des habitants de Rotterdam monte. Sur le site d’informations locales AD Nieuws, où témoignent quelques riverains, on apprend que les deux principaux problèmes que posent la mesure sont le profilage au faciès – seuls les jeunes gens au « physique criminel » seront arrêtés – et l’abus de pouvoir policier sur la propriété privée et l’intimité des personnes.
« Nous savons que ces jeunes gens portent des vêtements trop chers comparé à ce qu’ils gagnent. Nous allons vérifier comment ils se sont procuré ces vêtements, où ils les ont achetés, et avec l’argent de qui ils se les ont achetés. »
Des dérives possibles vers le profilage et l’abus de pouvoir
Puisque les arrestations ne se dérouleront qu’en fonction du ressenti arbitraire d’un policier (type : ce jeune homme a l’air d’être trop bien habillé pour son quartier, il a dû avoir recours à des activités illégales), la mesure se rapprocherait presque d’un Minority Report de la fringue. Problème, la machine de ce livre de science-fiction n’existant pas encore, c’est au faciès que se déroulera la sélection des potentiels criminels.
Jair Schalkwijk, porte-parole de l’organisation nationale contre le profilage ethnique, Control Alt Delete, s’est exprimé en ces termes dans AD Nieuws : « Les gens ne peuvent pas être arrêtés parce que leur apparence ne conviendrait pas à leur voiture chère ou à un manteau « trop chic ». Dans un État de droit, le juge décide de l’enlèvement des biens, et non la police. »
Le magazine Vice est allé à la rencontre des jeunes, notamment des jeunes hommes de Rotterdam, premiers visés par la mesure. S’ils sont tous plus ou moins révoltés – annonçant qu’il vaudrait mieux arrêter un criminel sur le fait, plutôt qu’après, une fois l’argent dépensé en cuir et chiffon – la peur du profilage au faciès est bel et bien réelle : “La police ne pensera pas qu’un mec blanc dans une veste de luxe est un potentiel dealer de drogues. Mais ce sera une toute autre histoire pour les minorités.”, s’exprime Quincy, 20 ans.
La Fashion Police ne connaît pas la mode
Pour le corps policier aussi, cette mesure pose un souci. Interrogé par le magazine Dazed, l’attaché de presse de la police de Rotterdam s’avère assez incrédule sur la capacité des agents à reconnaître des vêtements et accessoires de luxe à l’oeil nu : « Je ne sais pas comment on pourrait y arriver, ou comment on pourrait différencier une paire de chaussures Prada d’une paire de Balenciaga ! »
Il y a clairement du travail : rien à voir entre les mocassins italien et les baskets Triple S. En outre, la mode tend de plus en plus à revenir à des pièces low-key (profil bas, en VF) qui passent bien plus inaperçues qu’un blouson à paillettes Gucci ou qu’un cabas Balenciaga bleu pétard. Cette mesure très discutée ne tient donc qu’à un fil puisqu’il faudrait former les agents à coups de séances intensives de visionnage de défilés afin de leur apprendre les collections en cours. Un travail de titan, finalement, d’être la Fashion Police.
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