Thomas Ostermeier enflamme le festival d’Avignon avec « Un ennemi du peuple d’Ibsen » qu’il transforme en happening politique digne de mai 68.
L’idée folle est d’Henrik Ibsen… En 1883, le dramaturge norvégien ose offrir à son héros, le docteur Stockmann, qui se débat comme un beau diable pour révéler le scandale des eaux contaminées des thermes de sa ville, l’ultime planche de salut de défendre son point de vue en organisant une réunion publique. Avec Un ennemi du peuple, pièce qu’il monte aujourd’hui pour aujourd’hui et présente en avant-première au festival d’Avignon, Thomas Ostermeier en profite pour dénoncer la duplicité d’un discours prétendument démocratique qui ne fait que garantir les intérêts des nantis et opprime les faibles.
Reprenant au bond la balle lancée par Ibsen, le directeur de la Schaubühne de Berlin choisit ce moment crucial de la prise de parole publique pour rallumer la salle et lancer un débat avec les spectateurs sur cette démocratie qui, en l’occurrence, s’oppose à un homme s’efforçant de faire entendre une vérité au mépris des intérêts économiques de ceux qui ont pignon sur rue dans sa ville. Et tandis que les acteurs se font avocats du diable et défendent les principes d’une démocratie protégeant la croissance pour le bénéfice du plus grand nombre, les spectateurs s’emparent des micros qui tournent pour les contredire calmement mais vertement et prendre le parti de Stockmann. « Notre démocratie, c’est pas ça. C’est votre démocratie que vous défendez et vous nous la mettez bien profond. »
D’autres dénoncent les 8000 licenciements qui pointent leur nez chez Peugeot, d’autres encore, le scandale du Médiator et ses milliers de morts. Enfin, l’un d’eux plus revanchard, rappelle qu’en Allemagne, Hitler avait été élu démocratiquement avec 99% des voix… C’est exactement ce que souhaite déclencher Thomas Ostermeier avec son théâtre qu’il considère comme un prétexte à l’agitation des idées et une première marche pour engager une réflexion sur la société.
Ensuite, viendra la réponse encore plus violente d’Ibsen, celle qui désigne son héros en bouc-émissaire, le transforme en ennemi du peuple… … l’occasion pour Ostermeier de choisir de le lapider sous une pluie de bombes de peintures multicolores. Au final, c’est toute une salle debout qui applaudit et ovationne la troupe et le metteur en scène, un succès unanime qui pouvait aussi s’entendre comme l’expression de la gratitude des spectateurs d’avoir pu participer à la dénonciation du manque de démocratie directe qui mine nos sociétés européennes. Coup double pour Thomas Ostermeier qui sait que le plus beau des théâtres se doit tout naturellement d’être aussi politique.
Ein Volksfeind (Un ennemi du peuple) de Henrik Ibsen, mise en scène par Thomas Ostermeier, en allemand surtitré, jusqu’au 25 juillet au festival d’Avignon. Du 29 janvier au 2 février 2013 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.