Historien de la mode et ancien directeur du Palais Galliera, la dernière exposition d’Olivier Saillard traite d’un sujet hautement personnel : sa propre garde-robe, présentée à la Galerie Joyce.
Après avoir exposé les garde-robes des autres (de la Comtesse Greffulhe à Dalida) au Palais Galliera, dont il a assuré la direction jusqu’à ces jours-ci, après avoir habillé d’autres corps (Tilda Swinton ou Violeta Sanchez), Olivier Saillard expose enfin son propre dressing, les vêtements qui habillent son corps au quotidien. Geste, peut-être, d’un affranchissement : celui qui a toujours privilégié une approche personnelle, intime, poétique et intelligente du style (plus que de la mode), vient de quitter le Palais Galliera pour devenir directeur artistique chez J.M. Weston.
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N’étant plus le gardien des secondes peaux de ces femmes ou couturiers devenus fantômes, ou références culturelles muséifiées, Saillard se permet donc enfin de se raconter, de s’exposer lui-même. Le style, c’est ce que l’on choisit pour se représenter aux autres. Rien n’est anodin. A la galerie Joyce, les murs sont couverts de baisers au rouge à lèvres, baisers envoyés, à sa demande, par des amies, des femmes qu’il croise et qu’il aime bien. Sur les chaises en bois disposées en rangs, les vêtements sont mis en scène comme assis, pantins dérisoires se reposant, ombres de soi-même, jolis laissés pour compte faisant tapisserie, ou peaux d’Aliens bleus attendant le corps qui les fera revivre, reviendra les habiter pour leur rendre grâce et mouvement.
Patchs, éraflures, trous
Tout est bleu chez Olivier Saillard : chemises en jean ou de popeline, siglées Charvet, Carven ou anonymes, pantalons aussi, dont l’un est de Dries Van Noten. Les vestes entourent les chemises de leurs manches, comme des bras étreignant le corps de l’être aimé, comme un homme cherche à retenir son amour qui s’en va. Qui, ou qu’est-ce qu’Olivier Saillard cherche à retenir ? Le temps peut-être, qui file et détruit tout. Sur certaines chemises, on aperçoit les patchs de tissus dépareillés qu’il a cousus lui-même pour réparer les effets que temps a laissés sur les cols, les poignets – éraflures, usures, trous – en dissimuler les traces. Retenir toutes les preuves d’amour de ces vivantes qui un jour ne le seront plus – émouvantes traces de rouge à lèvres pâle pour Catherine Deneuve, plus soutenu pour Isabelle Huppert, doux ou foncé pour toutes les anonymes qui un jour, disparaîtront elle aussi.
Devant la galerie, alors que la nuit est tombée sur le jardin du Palais royal, et qu’on fume une cigarette en guettant l’apparition du fantôme de Jean Cocteau, Olivier Saillard vient nous rejoindre. On aimerait lui poser des questions sur ses vêtements, l’exposition, mais la conversation dévie rapidement sur la cigarette, comme souvent en ce moment : fumer ou pas ? Mourir jeune ou accepter de vivre ? Il a arrêté cet été, histoire de retenir la vie un peu plus longtemps. Mais ça ne veut rien dire : son grand-père fumait trois paquets de cigarettes par jour et pourtant, il est mort à quatre-vingt-quinze ans. Il faisait coudre des poches supplémentaires à ses chemises pour transporter ses cigarettes. Saillard les a gardées – l’une d’elle, nous dit-il, est d’ailleurs exposée. Alors en faisant un dernier tour dans la galerie Joyce, on a cherché à la retrouver. En vain. On a juste aperçu une bizarrerie sur la dernière chemise : deux étiquettes. L’une d’elle semblait avoir été ajoutée par Saillard lui-même, comme pour nous délivrer son ultime secret. On pouvait y lire : « Lovefix ». Fixer l’amour, le retenir. A même la peau, pour le transporter toujours avec soi.
« Personal dressing » à la galerie Joyce, 168 Galerie de Valois, jardin du palais Royal, 75001 Paris. Jusqu’au 29 janvier.
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