Enregistré dans une ancienne église par Four Tet, « Blank Project » confirme la renaissance musicale de Neneh Cherry. Rencontre et critique.
Dans la famille Cherry, la pratique de l’improvisation est presque une tradition. “Quand je joue, je pense à la façon dont mes phrases ondulent comme une danse, comme un oiseau ou une étoile filante”, disait Don Cherry, esthète du free jazz et trompettiste d’Ornette Coleman dès les années 50. A l’âge de 3 ans, Neneh Cherry sillonne l’Europe en minivan Volkswagen avec papa, maman et leur petite tribu jazz.
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Elle applaudit son paternel dans les clubs d’Istanbul et saute sur les genoux de Miles Davis dans les loges de la salle Pleyel à Paris, en 1967. Elle comprend très jeune que l’improvisation n’est pas un simple exercice de style mais une façon mystique de célébrer l’instant, et même peut-être, comme le prétend le pianiste Art Simmons, “une présence de Dieu”.
Succès fulgurants puis retrait progressif
Neneh s’émancipe de son héritage jazz à Londres au début des années 80. Le punk la pique, et la new-wave l’inspire. Avec Ari Up des Slits, elles squattent dans l’appartement d’Adrian Sherwood.“Il y avait beaucoup de chambres occupées par des rockeurs, des rastas, des poètes et des punks, se souvient-elle. Les portes restaient toujours ouvertes, c’était une période foutrement créative.” On connaît la suite : trois disques avec Rip Rig + Panic, un premier album devenu classique de la musique noire en Angleterre (Raw Like Sushi, 1989), des arrangements pour Blue Lines de Massive Attack et, quelques années plus tard, le mégatube 7 Seconds avec Youssou N’Dour.
A la fin des années 90, ses apparitions se font plus rares. Elle s’installe en Suède et y élève ses filles. Neneh joue et enregistre à l’occasion avec CirKus, mais c’est davantage le groupe de son mari, Cameron McVey, que le sien. Elle se complaît dans une vie confortable de mère au foyer. Jusqu’à ce que sa mère, l’artiste suédoise Moki Cherry, meure en 2009.
“C’est arrivé si subitement qu’il m’a fallu un an pour remonter la pente, grâce à l’amour de mes proches. Je portais aussi en moi une noirceur que je ne pouvais guérir qu’en revenant à la musique, je le sentais. The Cherry Thing (compilation de reprises free avec The Thing en 2012) et Blank Project m’ont aidée à sortir de l’obscurité.”
Un besoin viscéral de retour à la musique
En février et mars 2013, elle répète ses nouvelles compositions avec le duo anglais RocketNumberNine (batterie/claviers ou basse), afin de pouvoir ensuite s’en détacher violemment pendant les sessions avec le très rare Four Tet, à Woodstock. Les guitares punk de Weightless comptent parmi les rares faveurs de beats electro-soul parfois décharnés jusqu’à l’os. “Pour le titre Across the Water, Four Tet a carrément débranché les claviers. Il ne voulait garder que le tempo et ma voix. C’est vrai que la mélodie se diffuse mieux comme ça, sans synthés. Moins est toujours égal à plus avec lui.”
A près de 50 ans, Neneh retrouve une énergie créative flambante. Blank Project est son petit miracle personnel. Ce premier album depuis dix-huit ans fut justement confectionné à Dreamland, une église du XIXe siècle réaménagée en studio à Woodstock. A-t-elle donc senti cette “présence de Dieu” dont parlait Art Simmons pendant l’enregistrement ? En tous cas, elle renoue avec sa propre tradition familiale.“Je m’interdis désormais de réfléchir quand je chante, dit-elle. Je veux que ma connexion avec la musique soit émotionnelle et spirituelle, pas cérébrale. En enregistrant des morceaux comme Naked, par exemple, il y a eu des instants magiques.”
Concert le 1er mars à Paris (Gaîté Lyrique)
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