Pudique et caustique, Judith Forest revient sur ses études décevantes aux Beaux-Arts, dévoilant sa vie de jeune adulte avec une grande sensibilité.
« N’importe quelle vie peut-elle faire une bonne histoire ?”, se demande Judith Forest au début de 1h25. La sienne certainement, puisque dans ce premier roman graphique, courageusement autobiographique, elle relate la fin de ses études aux Beaux-Arts à Paris et ses débuts dans la vie d’adulte. Sans fausse pudeur, Judith Forest partage son intimité, ses gestes quotidiens, raconte ses rencontres, dissèque sa relation avec les autres, explique comment elle fait face à ses interrogations et son insécurité. La difficulté d’aimer, l’art et la création sont au centre de ses préoccupations.
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Avec un recul rafraîchissant sur sa génération et les préjugés de son environnement, elle égratigne le système estudiantin, les Beaux-Arts, ses camarades. Frontalement, elle attaque : “Aux Beaux- Arts, on se la joue encore “liberté sexuelle”. Quarante ans après. “On est vachement libre, tu vois – han. Les puritains, c’est des cons.” Mais ça c’est le discours, dans les faits, les Beaux-Arts, c’est un gros tas de puceaux”, ironise-t-elle. De son cynisme ne transparaît ni amertume, jugement ou rancoeur, mais plutôt un humour fruit d’une lucidité douloureuse.
Si elle donne parfois l’impression de régler quelques comptes, elle n’applique pas ce traitement au vitriol qu’aux autres, mais aussi à elle-même. Elle n’embellit pas son personnage, se questionne encore et toujours. Elle joue avec les codes de l’autobiographie. De sa relation avec un jeune dessinateur, dont elle donne des détails crus, elle avoue à demi-mot, laissant planer le doute : “Est-ce simplement un fantasme dessiné pour mieux accrocher mon public masculin ?” Elle évoque également avec générosité les expériences revigorantes (la vie bruxelloise), les rencontres salvatrices et déterminantes, comme celle de Momo, qui lui fait découvrir Fabrice Neaud et le Festival d’Angoulême, et lui offre ainsi de nouvelles perspectives.
Ce mélange de délicatesse et de causticité se retrouve dans son trait, un dessin brut, coup de poing, sorte de croquis adouci par des à-plats verts. Mais introspection et travail sur soi ne coulent pas toujours de source. Comment en effet dire les choses difficiles sans pathos ni autoapitoiement ? Judith Forest hésite, tergiverse, avant d’avouer les souvenirs douloureux. Sa difficile relation avec ses parents est racontée de façon fragmentée. Un échange de mails qui court tout au long du livre dévoile ses rapports conflictuels avec son père. Sa mère, qui n’apparaît qu’à la fin, joue un rôle révélateur. Judith Forest ne parle que très tard d’un épisode tragique de sa vie, son expérience avec la drogue. Comme s’il lui fallait avoir déjà bien installé les choses et avoir pris confiance au fil des pages avant de pouvoir en parler. Et finir par boucler sa “bonne histoire”.
Anne-Claire Norot
1h25 (La Cinquième Couche), 304 pages, 16€
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