Le droit à l’oubli sur l’internet est l’objet d’une proposition de loi. Mais les arguments juridiques et éthiques s’entrechoquent.
Avant, on pouvait être indigne en public et feindre dès le lendemain la plus grande probité. Mais ça, c’était avant que Google ne ressorte à quiconque faisant une recherche sur vous, vos photos de fin de nuit arrosée et des commentaires laissés sur des forums consacrés à des sujets honteux, voire illégaux.
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Une mémoire globale et permanente d’autant plus préoccupante pour le respect de la vie privée que l’époque est à l’exposition de soi. C’est en tous cas l’avis des deux sénateurs, Yves Détraigne et Anne- Marie Escoffier, à l’origine d’une proposition de loi déposée début novembre visant à instaurer un droit à l’oubli sur le net. Au menu : limitation de la durée de conservation des données personnelles et suppression sur simple demande par mail de l’intéressé. Une préoccupation en vogue puisque Nathalie Kosciusko-Morizet organisait quelques jours plus tard une conférence sur le sujet. Mais, plutôt que de légiférer, la secrétaire d’Etat proposait l’instauration d’une charte de bonne conduite et la création de labels permettant à l’internaute de s’y retrouver en terme d’anonymat.
“Les jeunes ne se rendent pas compte qu’ils sont dans un monde où la transparence ne rend pas que des services, où tout n’est pas bon à montrer”, explique Denis Ettighoffer, fondateur d’Eurotechnopolis Institut, qui milite avec ferveur pour une suppression systématique des données personnelles au bout de sept ans. “L’internet a une mémoire totale, eidétique, or on doit être capable d’oublier pour se construire : c’est pour cela que nous avons un inconscient.” D’autant que comme le rappelle Philippe Wallaert, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle, “il ne faut pas confondre transparence et vie privée ; ne rien avoir à se reprocher ne veut pas dire qu’on doit tout montrer”.
Par ailleurs le projet de loi viendrait surtout faciliter la mise en oeuvre de textes qui existent dans le droit français et européen. Par exemple, la loi “informatique et liberté” (1978) qui a créé la Cnil. “Mais la plupart des Cnil européennes n’ont pas les moyens matériels d’agir. Pourtant la suppression des données personnelles après un an est déjà prévue par la directive de 1995”, explique encore l’avocat. Sans parler du fait que les pays qui hébergent ces sites n’ont pas toujours de législation contraignante en la matière… “D’où la nécessité d’une harmonisation internationale garantissant le retour à l’anonymat comme droit fondamental”, affirme Alain Bensoussan, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies. “Un droit qui doit être cependant combiné à la liberté d’expression et au devoir de mémoire” souligne-t-il.
Car le net n’est pas qu’une machine à engranger des informations personnelles pour intensifier la surveillance des citoyens. “C’est d’abord un formidable outil démocratique”, insiste Jean-Marc Manach, journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies et ardent défenseur de la vie privée. “Il ne faut pas diaboliser l’internet, ni essayer de répondre à ces questions de protection de la vie privée avec des arguments datés.” Dans son collimateur, la proposition sénatoriale d’éduquer les plus jeunes aux dangers du net en mettant en parallèle données personnelles et piratage. Le journaliste préconise plutôt de responsabiliser une génération de digital natives qui n’a pas la même perception de ce qu’est la vie privée en mettant l’accent sur les bienfaits de l’internet comme outil démocratique et politique.
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