Face à la surenchère des effets spéciaux, les films de Lars von Trier et d’Arnaud Desplechin laissent le verbe agir.le théâtre et son double Le théâtre, vieux frère un peu ennemi du cinéma (éternel sujet de débat de ciné-club), se trouve au c’ur de deux des films les plus marquants de ce festival. Chacun à […]
Face à la surenchère des effets spéciaux, les films de Lars von Trier et d’Arnaud Desplechin laissent le verbe agir.
le théâtre et son double
Le théâtre, vieux frère un peu ennemi du cinéma (éternel sujet de débat de ciné-club), se trouve au c’ur de deux des films les plus marquants de ce festival. Chacun à sa façon, dans un sens opposé, s’y colle : En jouant « Dans la compagnie des hommes » d’Arnaud Desplechin entraîne une pièce d’Edward Bond vers le cinéma alors que Dogville de Lars von Trier,, théâtralise son sujet et son texte, les soumet aux conventions du théâtre, d’un théâtre vaguement brechtien, en tout cas de l’idée que l’on se fait de Brecht.
Tout vient des mots. Etrangement, alors que le numérique a permis d’atteindre des sommets dans l’usage des effets spéciaux, au point que la réalité semble n’en avoir plus aucune, certains cinéastes tentent de coller à cette réalité en ayant foi dans les conventions du théâtre, en la capacité de la parole théâtrale à créer de la matière. « Voulez-vous voir une mine ? Vous voyez ces quelques bouts de bois ? C’est l’entrée d’une mine », semble nous dire von Trier. Et ça fonctionne pendant trois heures. La puissance du verbe se manifeste également dans des films qui n’ont pas officiellement à voir avec le théâtre. Chez Eugène Green, par exemple, il suffit qu’on nous dise qu’un chien est un lion ou un lapin un éléphant pour qu’on y croie. Il semblerait donc que certains cinéastes n’aient rien trouvé de mieux que d’avoir recours à la parole pour contrebalancer le pouvoir de l’image.
Caméra à l’épaule le plus souvent, comme Lars von Trier, Desplechin joue le jeu de l’adaptation sans tout à fait le jouer, puisqu’il mélange des images des répétitions avec les acteurs aux scènes tournées « pour de vrai », pour le cinéma, auxquelles il ajoute des plans où on le voit discuter avec ses scénaristes et quelques scènes d’Hamlet, parce que Bond se serait beaucoup inspiré de Shakespeare, et parce qu’un personnage féminin Ophélie, jouée par Anna Mouglalis serait le bienvenu dans ce monde d’hommes, d’argent et de pouvoir. Tout cela est bien intéressant mais aussi assez lourdaud et démonstratif. On comprend que Desplechin ait souhaité que le spectateur n’oublie pas l’origine théâtrale du film, mais ces va-et-vient permanents lassent. Malgré une interprétation remarquable, le film se perd dans son montage et ne prend de l’ampleur que lorsque Desplechin cesse de tourner autour du pot, et semble soudain se lâcher : un bébé que sa mère adoptive recouvre de sang pour simuler l’accouchement, ou ce flash-back qui nous plonge dans les entrailles d’un sous-marin. Dès lors, dès que le théâtre est oublié, le film semble vivre, le cinéma se réveiller, circuler, grâce à la parole.