Après avoir flingué le FN en 2007 en lui piquant ses idées, l’UMP va-t-elle le remettre en selle avec le débat sur l’identité nationale ?
En politique, on ne meurt jamais. Surtout chez les Le Pen. Père et fille ne cessent de le répéter depuis la débâcle de 2007 qui vit le FN perdre un million d’électeurs. Au lancement de la campagne pour les régionales en Ile-de-France, le parti a lancé la petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen. Du haut de ses 19 ans, la fille de Yann Le Pen (cadette du leader vieillissant) incarnait devant la cinquantaine de militants la continuité du clan et un message : la France n’en a pas fini avec la dynastie Le Pen. Coup de com réussi.
A ses côtés, la tête de liste Marie-Christine Arnautu affichait son optimisme, “certaine d’être présente au second tour”. A l’UMP, cette conviction est prise au sérieux. Les sondeurs et stratèges de l’Elysée s’inquiètent depuis quelques mois de l’éventuelle remontée électorale du Front national aux régionales de mars 2010. Pour la contrer, le soldat Besson a lancé à la va-vite son “grand débat” sur l’identité nationale.
Résultat : les critiques ont fusé, unanimes, pour critiquer une grossière manœuvre électorale. C’est aujourd’hui l’opinion des deux tiers des Français et de personnalités UMP inquiets de la tournure nauséabonde du débat. Les membres du FN, eux, ne s’en plaignent pas, persuadés, comme Marion Maréchal-Le Pen, qu’il “redonne de la visibilité au parti”.
“L’UMP a des raisons objectives de s’inquiéter par rapport au FN qui peut provoquer des triangulaires dans 6 à 10 régions”, affirme Nonna Mayer, politologue spécialiste de l’extrême droite. Les derniers sondages le donnent pour le moment dans une fourchette de 8 à 10 % aux régionales. Suffisant pour jouer les trouble-fête. Il faut 10 % des suffrages pour se maintenir au second tour. Aux régionales de 2004, avec 15 %, le FN s’était maintenu dans 17 régions. Les triangulaires avaient participé à la large victoire du PS (20 régions sur 22). Pour celles de 2010, avec un taux d’abstention annoncé en hausse, le pessimisme a gagné les rangs UMP.
Il y a quelques mois, la droite estimait pouvoir reprendre sept régions à la gauche. Aujourd’hui, en conquérir une semble optimiste. Pour limiter la casse, l’UMP se devait de stopper la bonne série du FN : défaite in extremis (39,34 % des suffrages) de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, polémiques Frédéric Mitterrand et Jean Sarkozy, mécontentement de l’électorat sur fond de crise économique. Restait l’identité nationale, une stratégie à haut risque mais encouragée au sommet de l’Etat. “Affirmez vos convictions, n’hésitez pas à cliver, les Français nous soutiennent”, c’est le message lancé à ses troupes par Nicolas Sarkozy.
La stratégie est double : faire diversion pour éviter de débattre des problèmes économiques et sociaux et mobiliser l’électorat de droite. “Pour garder l’électorat modéré du FN capté en 2007, l’UMP joue sur les peurs, explique encore Nonna Mayer. Peur de la crise économique, peur de la mondialisation et de l’ouverture, peur de l’islam.”
André Valentin, maire UMP de Gussainville, ne s’est pas fait prier devant les caméras de France 2 : “Il est temps qu’on réagisse, parce qu’on va se faire bouffer. – Par qui ? Par quoi ?… – Il y en a déjà dix millions, alors il faut bien réfléchir. Dix millions qu’on paie à rien foutre.” De la pure rhétorique FN, sans enrobage “droite moderne” made in Eric Besson. Jamais à court d’une acrobatie, le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale a rebaptisé les dérapages xénophobes dont fourmille debatidentitenationale.fr en “réflexions de comptoir (faisant) parti de l’identité nationale” (sic).
Enfin, l’actualité internationale s’en est mêlée. Le vote suisse contre les minarets a éclairé la dérive antimusulmans du débat français. Un cauchemar. Mais le malaise gagne l’UMP. Les plus modérés lâchent Besson et le critiquent ouvertement. Alain Juppé, François Baroin, Jean-Pierre Raffarin jugent le débat “électoraliste” et “confus”. Pour Jean-François Copé, il devrait être lié “au vivre ensemble” et non “à l’immigration”. Un camouflet pour l’Elysée qui voit lui échapper sa stratégie pour contrer le FN et remobiliser des électeurs de droite.
Pourtant, en 2007, Sarkozy avait réussi son coup en siphonnant électeurs et idées du FN. Nonna Mayer décrypte : “La stratégie consiste à occuper le créneau politique du FN, sur les enjeux de l’immigration, en le faisant à la manière de l’UMP bien sûr, la défense de “l’identité nationale” n’est pas celle de la “préférence nationale”, mais le risque est toujours à terme de légitimer la version dure, celle de l’extrême droite.”
Ainsi le “renvoi de tous les étrangers” du FN s’est transformé en “immigration choisie”. Depuis, la machine s’est grippée. Le débat sur l’identité nationale a rouvert un espace médiatique important aux idées radicales du Front national. “C’est une stratégie sur le fil du rasoir”, estime Nonna Mayer.
Le risque est double : perdre les plus modérés, effrayés par la tournure du débat et, à force de légitimer ses thèmes, faire le jeu de l’extrême droite. “Une étude systématique des facteurs contextuels du vote en faveur de l’extrême droite en Europe ces vingt dernières années, par le politologue Kai Arzheimer, montre que plus les autres partis attachent de l’importance à l’immigration et à l’insécurité dans leurs programmes plus ils contribuent, sur le long terme, à faire monter les intentions de votes en faveur des droites extrêmes et populistes.”
C’est d’autant plus dommageable que le FN est un parti en miettes : ruiné, divisé, sans élus, sans infrastructures et ayant perdu en dix ans les trois quarts de ses militants. Pour Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Iris, “il n’en compterait aujourd’hui qu’environ 10 000”. D’autant plus dommageable d’associer identité nationale et immigration, selon Nonna Mayer, que “sur le long terme, à part quelques poussées de fièvre, comme après les émeutes de 2005 en France, toutes les enquêtes montrent que l’acceptation des immigrés progresse, lentement mais sûrement dans l’opinion”.