Pour mieux comprendre les enjeux de la conférence sur le climat de Copenhague, interview d’Hervé Le Treut, professeur à l’école Polytechnique et spécialiste de la modélisation du climat.
Hervé Le Treut est professeur à l’école Polytechnique et spécialiste de la modélisation du climat. Il a participé aux rapports du GIEC, le groupe d’experts internationaux sur l’évolution du climat. Il est l’auteur de Nouveau climat sur la terre (Flammarion, 2009) et de L’effet de serre, allons nous changer le climat (Flammarion, 2004).
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L’échec annoncé du sommet de Copenhague est il encore évitable ?
Echec ? Le nombre de chefs d’Etat présents, c’est déjà un succès. Tout ne s’arrêtera pas à Copenhague, c’est évident. Les engagements ne seront sans doutes pas suffisants et il y aura encore beaucoup de sommets à venir. Mais que ces questions qui engagent profondément l’avenir soient traitées de manière globale dans le cadre de négociations et non de manière conflictuelle est déjà une victoire. Le mécanisme fonctionne. Des mesures globales vont être adoptées. Leur succès ne dépend pas que des chefs d’Etat, mais elles devront être mise en œuvre par les pays, les régions, les citoyens. Il n’y a pas un bouton sur lequel les dirigeants peuvent appuyer pour réduire l’effet de serre. C’est un combat qui engage la société entière, qui ne peut être imposé.
Certains climatologues déclarent pourtant préférer un échec à un mauvais accord a minima, pourquoi ?
Ceux-là pensent que les engagements qui vont être pris lors du sommet seront insuffisants et défavorables aux pays les plus fragiles. Je ne suis pas sur cette ligne. Les demandes sont urgentes et on ne peut pas attendre d’avoir partout des gouvernements démocratiques ou que la vraie gauche soit partout au pouvoir pour agir. On ne peut pas avoir un accord sur des positions rêvées, il faut saisir la possibilité qui nous et offerte aujourd’hui que la Chine et les Etats-Unis notamment prennent des engagement contraignants pour la première fois.
Le récent piratage des mails de l’unité de recherche sur le climat de l’UEA a justement relancé le débat sur la réalité de l’existence d’un consensus de la communauté scientifique…
Il n’y a pas de débats internes dans la communauté scientifique. Mais à la marge de celle-ci il y a des gens qui croient à un complot écologiste mondial. Dire que le débat est ouvert est très biaisé. Les gaz à effet de serre vont nécessairement réchauffer le climat. C’est une certitude. Qu’il y ait des cycles naturels de réchauffement qui se superposent à celui qu’entraîne l’activité humaine est une possibilité, mais cette dernière va l’emporter largement. Ceux qui contestent cette réalité se contentent de regarder dans leur jardin, nous, nous basons nos prévisions sur des modèles fiables.
Ce sommet cristallise la fracture Nord-Sud, le changement climatique épouse cette frontière ?
Il y a une dissymétrie entre les pays qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre et ceux qui sont les premières victimes des dérèglements que cela cause. Beaucoup de pays en voie de développement se trouvent dans des zones qui les rendent plus vulnérables aux aléas climatiques alors qu’ils ne sont responsables que d’une infime partie des émissions. C’est cette injustice qui pousse à essayer de chercher des compensations économiques entre ces pays pour que les responsables payent et pas seulement les victimes.
Les pays émergents occupent une place particulière dans ces négociations et dans l’avenir climatique, laquelle ?
En effet, ces pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil n’ont commencé à polluer de manière significative pour le climat que depuis une dizaine d’années. C’est à dire considérablement moins que les pays industrialisés. Mais aujourd’hui ils contribuent massivement aux émissions de gaz à effet de serre et de manière exponentielle. Sans leur engagement, on ne peut rien faire. Or pendant longtemps, ils ne sont pas sentis tenus de brider leur croissance pour des problèmes écologiques dont ils n’étaient pas historiquement responsables. Mais depuis Kyoto, la situation a changé. Ces pays ont leurs propres experts et commencent à être sensibilisés à ces questions. D’autant qu’eux aussi sont souvent sur des zones climatiques qui vont être fortement soumises aux dérèglements. Plus vite ils limiteront leur addiction au pétrole et moins l’impact sur la croissance sera marqué.
La Chine est devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre de la planète, le respect de l’environnement est il compatible avec la croissance ?
On ne peut pas nier qu’aujourd’hui la croissance verte n’a pas encore de modèle. Trois quart des ressources énergétiques sont des énergies carbonées. Il n’y a pas de filière alternative, en tous cas aucune qui soit sans défaut. Et souvent elles rencontrent, comme les éoliennes, des résistances locales. Les politiques à eux seuls ne parviendront pas à engager une mutation. Ils doivent être suivis par tous les secteurs, industriels compris. Quelle que soit la détermination d’Obama, elle ne suffit pas à elle seule à emporter l’adhésion des Etats-Unis. Le changement doit être collectif.
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