Portée par le buzz et deux Golden Globes en 2013, la série vient d’attaquer sa troisième saison. Rencontre avec sa créatrice et actrice principale Lena Dunham, au charisme fou et décapant.
On associe généralement Lena Dunham aux rues de Brooklyn, à ses brownstone houses et ses larges trottoirs, aux coffee-shops chic et aux appartements aux murs de briques. Aussi, la retrouver à Los Angeles, non loin du très huppé Hancock Park, dans une « vieille » maison (construite dans les années 40, une antiquité à l’échelle de la ville) décorée façon couvent gothique, a quelque chose de profondément exotique. Elle arrive au rendez-vous en voiture, conduite par son assistante-maquilleuse, et nous salue chaleureusement, à peine le pied posé sur le minuscule trottoir – inutile qu’ils soient plus grands puisque ici personne ne marche. Un détail nous frappe d’emblée : sur ses ongles, des lettres sont écrites au vernis. « Ah ça ? Alors de ce côté, c’est le nom de mon chien ‘L-A-M-B-Y’, de l’autre celui de mon boyfriend ‘J-A-C-K’ (Antonoff, leader du groupe Fun – ndlr) », nous confie-t-elle toute fière.
Que peut bien venir faire la plus new-yorkaise des New-Yorkaises sur la Côte Ouest, en ce début d’automne ? Après plusieurs mois de tournage intensif et une très courte pause estivale, elle entame le montage de la troisième saison de Girls, la série qui l’a rendue célèbre en 2012 et lui a permis de remporter deux Golden Globes l’année suivante – aucun Emmy en revanche, malgré plusieurs nominations.
Le mentor Judd Apatow
Sans être insoutenable, la pression est forte à l’aube de cette nouvelle saison. Après le triomphe de la première – triomphe surtout médiatique, l’audience de la série restant mesurée, ou disons « de niche » -, la seconde saison n’a pas complètement transformé l’essai. Pourtant audacieuse, complexe et follement émouvante (on ne s’est toujours pas remis du prince charmant torse nu du dernier épisode), la suite des aventures d’Hannah Horvath et de ses ami(e)s n’a pas élargi la fan base, et l’aurait même un peu réduite. S’il est encore un peu tôt pour en révéler précisément les enjeux, la troisième saison est censée, selon sa créatrice, « passer plus de temps avec chacun des personnages, et s’attacher davantage à leur back-story, comprendre d’où ils viennent pour comprendre où ils vont ». On n’en saura pas plus, et il faudra se contenter de la bande annonce et d’un surprenant plan qui montre Dunham twerker (c’est-à-dire se déhancher de façon obscène) sur une tombe…
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Si l’actrice-scénariste-réalisatrice (et bientôt écrivaine, lorsque son premier roman, Not That Kind of Girl, aura été publié par Random House) monte à Los Angeles, ce n’est pas pour y trouver le soleil, de grosses voitures et de beaux surfeurs. C’est parce que Judd Apatow, son producteur et mentor, lui fournit ses salles de montage et, surtout, ses conseils avisés. « Lorsqu’on écrit ensemble, avoue-t-elle, on s’appelle, généralement tard dans la nuit, lorsqu’on a fait tout le reste, et on fait une sorte de ping-pong : je lui envoie un premier jet, il ajoute des blagues, j’ajoute les miennes, et puis parfois il trouve que la scène n’a finalement pas à être drôle et me conseille de corriger le ton, etc. » C’est le même processus organique durant le montage, sauf qu’ils n’ont pas à composer avec le décalage horaire.
Judd Apatow a pris Lena Dunham sous son aile, exactement comme il l’a fait précédemment avec Seth Rogen, Jason Segel ou Jonah Hill. Ayant vu, sur les conseils d’un ami, le second film sorti en 2010 de la jeune fille, Tiny Furniture (produit avec des bouts de ficelle), il reconnaît d’emblée en elle une alter ego. « Un jour, raconte-t-elle, j’ouvre ma boîte et vois s’afficher un email intitulé ‘De la part de Judd Apatow’. J’ouvre, et lis un truc du genre : ‘Si tu veux plein d’argent pour faire un film, et que quelqu’un foute en l’air ton processus créatif, appelle-moi.’ Je réponds : ‘Isabelle, si c’est toi : va te faire foutre. Si c’est Judd Apatow, euh, merci, je suis très honorée.’ Le lendemain, j’appelle son bureau et j’entends : ‘Salut, c’est Isabelle’, sauf que la voix était un peu trop grave… » Elle lui pitche un projet de série qu’il décide de soutenir auprès d’HBO, dix ans après avoir tourné le dos à la télé, amer de ses échecs répétés (Freaks and Geeks, Undeclared). Girls sera ainsi la première série qu’Apatow mènera, en tant que producteur, au-delà de la première saison.
L’art de mettre les pieds dans le plat
Loin de l’avoir ensevelie sous les dollars et d’avoir ruiné sa touch, ce dernier a au contraire décomplexé Lena Dunham, tout en la protégeant pour qu’elle n’ait pas à se soucier d’autre chose que de création. Il suffit de comparer Tiny Furniture et Girls, qui ont à peu de choses près le même pitch et le même casting, pour comprendre l’apport du producteur : d’un côté une oeuvre charmante mais encore un peu étriquée dans son costume d’intello new-yorkaise névrosée, ostensiblement fan de Woody Allen et d’art contemporain ; de l’autre, une série ample qui défriche de nouveaux territoires (le burlesque sexuel féminin), ne cesse de surprendre et parvient, en sus, à émouvoir régulièrement.
Un des aspects les plus étonnants de la série, et sur lequel on a beaucoup glosé, est son rapport au corps. Si la nudité féminine est fréquente dans l’art ou la danse contemporaine, il en va différemment du cinéma et de la télévision, même sur une chaîne aussi peu suspecte de puritanisme qu’HBO – à qui il est d’ailleurs reproché l’inverse.
« Je crois que ce qui change avec Girls, c’est que la nudité n’est pas nécessairement associée au glamour. Ce n’est même pas calculé, c’est très naturel pour moi. On me dit : ‘Vous êtes tellement courageuse de vous déshabiller ainsi.’ En réalité, il n’y a aucun courage à faire quelque chose qui ne nous fait pas peur ! Apparaître nue à la télévision, ça ne m’a jamais effrayée. »
Si le geste n’est pas calculé, on ne peut toutefois pas dire qu’il vient de nulle part : il faut être fille d’un peintre (Carroll Dunham) et d’une photographe (Laurie Simmons, qu’on aperçoit dans Tiny Furniture et dans un épisode de Girls), petite-fille de critiques d’art et ex-étudiante en creative writing pour l’assumer avec une telle désinvolture. Et on ne sera pas surpris qu’elle cite Cindy Sherman ou Marina Abramovic comme influences, plutôt que Julia Roberts. Autre influence, inévitable : le Saturday Night Live. « Je me suis calmée, mais j’ai été complètement obsédée par ce show à l’adolescence. Il m’était impossible d’en rater un seul, reconnaît-elle. Puis, au milieu des années 2000, il y a eu ce moment incroyable, un âge d’or pour les femmes comiques, où on pouvait voir Maya Rudolph, Amy Poehler, Tina Fey, Ana Gasteyer, Cheri Oteri, Kristen Wiig… Faire rire avec son corps et ses faiblesses, plutôt que chercher à être glamour à tout prix : voilà ce qu’elles m’ont appris. »
Et lorsqu’on s’enquiert des réalisateurs (et réalisatrices) qui l’ont marquée, elle cite évidemment la crème de la « dramedy » américaine (James L. Brooks, Nora Ephron, Penny Marshall, Rob Reiner, Nicole Holofcener, Noah Baumbach…), ainsi que le panthéon des seventies, qu’elle partage d’ailleurs avec son mentor : Woody Allen, Hal Ashby, John Cassavetes, Paul Mazursky, Ingmar Bergman. Sans oublier une éminente Française, seule femme de la Nouvelle Vague, la facétieuse Agnès Varda. En novembre dernier, à l’occasion d’une exposition à L. A. consacrée à cette dernière, Lena Dunham publiait sur Instagram un cliché où toutes deux se checkaient joyeusement, laissant apparaître une évidente complicité, voire une aura sororelle pour qui croit en la magie.
Avec 600 000 abonnés sur Instagram (à peu près le nombre de spectateurs américains devant leur télé pour le finale de la saison 2…), et plus du double sur Twitter, Lena Dunham est une reine des réseaux sociaux. Chaque jour, elle y publie des selfies – où son chien Lamby, sous Prozac paraît-il, montre souvent son museau -, et ne rate jamais une occasion de polémiquer. Récemment, elle a ainsi ferraillé contre Shia LaBeouf, accusé de plagiat et dont elle trouvait les excuses ridicules (avant de finalement admettre qu’elle avait exagéré) ; ou encore R. Kelly, maintes fois accusé d’abus sexuels et dont le retour en grâce l’excède. Elle n’hésite jamais à mettre les pieds dans le plat – l’expression, traduite littéralement par « to put your feet on someone’s dish », semble en tout cas beaucoup l’amuser -, et c’est pour ça qu’on l’aime.
Il n’est ainsi pas interdit de penser qu’entamer la saison 2 au bras d’un Afro-Américain (Donald Glover, aka Childish Gambino, merveilleux rappeur en plus d’être acteur) était une réponse à ceux qui pointaient le manque de diversité ethnique du casting. « J’adore la critique, j’en ai toujours lu. Et lorsque j’en lis une négative sur moi, pour peu qu’elle soit argumentée et constructive, j’y réfléchis, et il peut arriver que je l’intègre à mon processus. Ce que je ne prends pas au sérieux en revanche, c’est ce flot d’insultes sur Twitter, ces gens qui me traitent de grosse et de salope, tout en se masturbant de l’autre main, du fin fond de leur garage. »
Elle se défend toutefois de répondre à des impératifs de quota et pointe l’absurdité de ces reproches : « C’était peut-être une erreur d’appeler ma série Girls, mais elle n’a pas vocation à être universelle. C’est avant tout basé sur mon expérience personnelle. Pourquoi une série sur des femmes devrait-elle représenter TOUTES les femmes ? Demande-t-on la même chose à une série avec des mecs ? » Et alors qu’elle parle, nous reviennent en mémoire les toutes premières répliques de Girls, lorsque son personnage, soudain conscient de l’énormité de sa tâche, avouait qu’il se contenterait tout à fait de n’être « qu’une voix, d’une génération ». C’est plus que réussi.