Le Mawjoudin Queer Film Festival se tenait à Tunis du 15 au 18 janvier 2018. Un moment politique et artistique important, qui a participé à faire sortir de l’ombre les communautés LGTBQI.
Organisé par l’association LGBT Mawjoudin (“Nous existons”), le Mawjoudin Queer Film Festival s’est déroulé dans la capitale tunisienne ces trois derniers jours. Les instances gouvernementales du pays, peu portées sur la reconnaissance de droits homosexuels qui régressent depuis l’arrivée au pouvoir d’Ennahdah en 2011, n’ont ni soutenu ni tenté d’interdire cet événement inédit. Une organisation sans heurts majeurs qui sonne déjà comme une première victoire pour la communauté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Des conditions (presque) sereines
Si l’ouverture du MQFF a pu se tenir à l’Institut français de Tunis, la suite des festivités s’est poursuivie dans l’espace culturel El Teatro pour des raisons de sécurité, encadrée par des forces de l’ordre de circonstance, bénévoles solidaires de la cause, videurs de boîte de nuit et autres agents. L’appréhension d’un incident n’a pas découragé les organisateurs et participants, ni même entamé leur enthousiasme, comme en témoigne l’activiste algérienne Frida Wahrania auprès de Libération :
“J’appartiens à un collectif, Elouen, qui défend la liberté sexuelle mais nous ne sommes pas reconnus légalement, contrairement à Mawjoudin. Et un festival comme ça, en Algérie, n’aurait été possible que dans des ambassades et avec des invitations secrètes”
La tranquillité des esprits n’est, pour l’heure, pas encore totale, explique Ali Bousselmi, le président de Mawjoudin, toujours à Libération : “Le risque est qu’après le festival, il y ait des réactions négatives à notre égard.”
Balayer les interdits enfouis du continent africain
Quinze films provenant du Liban, d’Afrique du Sud, du Cap-Vert, d’Egypte ou encore de Jordanie, comme autant de faisceaux lumineux balayant les interdits enfouis du continent africain, sont venus questionner le rapport au genre et à la sexualité dans des zones du monde où ces simples interrogations peuvent entraîner les plus sévères répressions.
En projetant les histoires de chacun.e.s habituellement condamnées à la confidentialité, avec le filtre protecteur de l’anonymat pour certains ou la fière insolence du visage découvert pour d’autres, Mawjoudin redonne la parole à des individus non pas en marge de la société mais justement à la jonction des schémas binaires traditionnels sur lesquels elles ont trop longtemps reposé.
Rappeler que nul n’est exempt de préjugés
Au sein même de la communauté, une volonté de “déhiérarchisation” des genres est mise en œuvre, notamment pour donner aux transsexuels et transgenres une place égale à celle des gays et lesbiennes. Le festival offre donc un examen critique total de nos impensés, qu’ils se situent dans l’inconscient collectif hétéro dominant, ou dans la structure des communautés dites minoritaires.
C’est notamment le thème traité par le documentaire hors compétition Au-delà de l’ombre de Nada Mezni Hafaiedh, qui n’épargne au spectateur ni l’intimité crue d’un gros plan sur un visage en larmes, ni les violences ordinaires (un gay traite Sandra, trans, de “pute”) au sein d’un groupe pas toujours affranchi d’assignations réifiantes. Montrer la vérité des rapports non idéalisés pour rappeler que nul n’est exempt de préjugés, et que la lutte pour les combattre, y compris en nous-mêmes, est constante. Une véritable libération pour le public, comme le raconte Sandra dans Libération :
“Je suis fier de voir les gens me serrer dans leurs bras à la fin du film. Depuis la révolution, on parle des gays, il y a des associations. Mais, nous, les trans’, nous restons encore tabous. Si on commence à en parler, c’est bien. Il faut parler des marginaux”
Si les droits des LGTBQI sont toujours loin d’être au cœur des préoccupations sociétales de nombreux pays, et que les violences et meurtres à leur encontre sont trop souvent leur lot quotidien dans bien des lieux, l’existence du Mawjoudin Queer Film Festival change une donne que le désespoir aurait pu faire croire irrévocable. L’espoir est donc plus que permis : il est nécessaire.
{"type":"Banniere-Basse"}