The Sonics, groupe emblématique américain des années 60, s’est remis à écumer les scènes depuis 2007, soit presque quarante-cinq ans après leurs débuts tonitruants dans la ville de Seattle. Le groupe reformé était de passage hier soir au Trabendo à Paris : on y était, et on vous raconte comment ça s’est passé.
Pas sûr de notre coup cette fois, alors que l’interminable queue de curieux avance d’un pas hésitant et transi vers les portes du Trabendo. Pas sûr du tout, même. Bien sûr, on espère toujours le « boom » au coeur, que Jerry Roslie ravivera la flamme de ces dinosaures du rock (même si le chanteur de The Sonics a subi il y a quelques années une greffe du cœur, et que l’ablation de certaines parties de ses reins n’a pas dû arranger les choses). Evidemment que l’on meurt d’envie de se payer un bonne tranche de rock garage, carbonisée aux riffs cradingues de la bande de Seattle, de s’engluer tête la première dans leurs coulées subversives, gimmicks célestes, le goudron et les plumes qui vous collent à la peau comme une bande dépilatoire.
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Tout ça, et plus, même si dans notre for intérieur on redoute un son refroidi, un rock garage de comédie musicale et une mélasse sans saveur, de la part d’anciens rockers qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Jerry Roslie, Larry Parypa , Rob Lind, ainsi que Freddie Dennis et Ricky Lynn Johnson (ex-The Wailers, mais ceux de Tacoma, pas de Bob Marley) qui remplacent Andy Parypa à la basse/chant et Bob Bennett à la batterie, ont visiblement de la bouteille, et nagent de consort dans les eaux menaçantes de la soixantaine. Dans cette dichotomie cruelle, où l’on se taraude le cibouleau entre pré-nécro tristounette et revival bouleversant, on se fraye un chemin vers le bar et l’on rejoint vite fait The Cavaliers (qu’on avait pu voir le mois dernier en patins à glace à la soirée Born Bad On Ice) qui débutent leur set. Du surf rock parisien, ça croise les Trashmen, les Beach Boys et ça trempe le tout dans la Seine, pour ressortir avec une rythmique épileptique, un raz-de-marée urbain radioactif aux colorations californiennes. Un cri du cœur instrumentiste dont émanent des embruns écumeux de surfeur platine : ça hurle, c’est strident et à 200 bpm. Ca revigore, mais on attend toujours le plat de résistance avec la même boule au ventre, et ce n’est pas ce petit hors d’œuvre, sympathique toutefois, qui coupera notre appétit d’ogre.
Peut-on être vieux et encore cool à presque 70 ans ? Voila la question qui suinte au bout des lèvres de tout le monde. Rester chez soi à se passer en boucle Here Are The Sonics, ou prendre le risque de voir ses vieilles idoles défraîchies, et plus du tout aptes à nous balancer quoi que ce soit de consistant dans les esgourdes ? De toute façon il est trop tard pour faire marche arrière, dans quelques minutes le groupe de rock alternatif le plus influent de l’histoire montera sur la scène du Trabendo, pour le meilleur ou pour le pire, et on sera là pour en témoigner.
Quand Roslie s’avance vers son piano et que Larry Parypa entame les premiers accords de He’s Waitin’, on comprend instantanément que notre tergiversation n’a plus lieu d’être : le simple fait de voir The Sonics sur scène est un évènement, en soi. Les cris plus du tout Psycho de Jerry, le manque de souffle de Rob Lind à l’harmonica, et les solos inutiles de Larry n’y changeront rien.
La magie est là. Strychnine pousse le chanteur dans ses retranchements vocaux, mais laisse entrevoir toute son implication scénique. On passera sur la ressemblance de Rob Lind avec Didier Bourdon dans son t-shirt-pirate-sa-à-patates, et de Freddie Dennis avec Benny Hill, qui plisse les yeux comme un constipé chronique. On se concentrera plutôt sur la puissance virtuose de l’un, composant essentiel de l’alchimie du quintet, et sur l’incroyable énergie des hurlements du second, éraillant subtilement la voix à chaque occasion qui se présente à lui. Ces mecs-là en ont encore dans le pantalon, et manient Little Richard, Jerry Lee Lewis et le fuzz comme personne. Le batteur, pour sa part, suit plutôt bien les autres, balançant ses baguettes au-dessus de sa tête avant de les asséner puissamment, et cela bien que Bob Bennett soit à priori irremplaçable pour son énergie dévastatrice. Cinderella, Don’t Be Afraid of The Dark, Boss Hoss, Dirty Robber, Have Love Will Travel, The Hustler, Psycho : malgré le son qui n’est plus vraiment garage, et manque parfois d’un peu de folie, le set de The Sonics a toujours du bagoût. Le poids des années se fait bien sûr sentir, mais le cœur y est : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. On aura même droit à un nouveau morceau, brillamment composé, avec juste ce qu’il faut de violence contenue et d’urgence éreintée, aux riffs acérés comme du verre pilé, ainsi qu’un Don’t You Just Know It accapella, porté comme un grand par un Freddie Dennis en grande forme. Après deux rappels de cris hystériques, les américains termineront leur set par un Louie, Louie un peu fade, mais qui ne pourra ternir cette soirée de retrouvailles avec ce groupe des années 60 trop méconnu, côté obscur de l’affrontement Beatles/Rolling Stones, préfigurant le punk d’Iggy Pop et ô combien emblématique de son époque.
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