Frère Animal, acide et grand livre-disque de Florent Marchet et Arnaud Cathrine, démultiplie sa formidable subversion sur scène, dans un spectacle aussi fascinant que bouleversant. On y était, on vous raconte.
La scène est pour Frère Animal, disque-livre et récit formidable initialement conçu par Florent Marchet et Arnaud Cathrine, un nouveau service indispensable à la SINOC (Société Industrielle Nautique d’Objets Culbuto), dont les organes mécaniques et appendices humains sont ici autopsiés au bistouri : la Division Subversion. Après un discours comico-sarkozien de Marchet, en introduction solitaire et courageuse du spectacle, la subversion, ici, est d’incarcérer le public dans le récit entrepreneurial, familial et glaçant de Frère Animal, de le considérer comme une masse informe de candidats à la marche organique et aliénante de la SINOC, entreprise malheureusement modèle et hachoir à destins fantasmés. Et la subversion, ici, est d’une modernité rare et d’une puissance extraordinaire –pour tout dire, on a rien vu d’aussi frappant, d’aussi menaçant en terres françaises depuis quelques longs lustres.
L’admiration, infinie, est le seul sentiment constant devant Frère Animal. C’est, explique la troupe, une « tragi-comédie ». Mais c’est une tragi-comédie dont on saisit plus d’angoisses que de comique –si ça se marre souvent dans le public du Café de la Danse, les rires restent jaunes et les textes citrique. Car cette SINOC, l’absurde « mère nourricière », même dans sa salle de divertissement, même quand elle affirme s’ « intéresser à la culture », reste un monstre inquiétant qui, très justement, fait culbuter les humeurs de la foule dans de drôles de houles –la tristesse abyssale souvent, l’étonnement rigolard régulièrement, et toujours un vague dégoût pour les personnages peu ragoûtants, et toujours une pitié absolue pour ceux qui ne s’en sortent pas, que ne s’en sortent plus, qui ne s’en sont jamais sortis, pour les salariés de pères en fils, pour les misérables tentatives d’évasion.
Valérie Leulliot, Florent Marchet, Arnaud Cathrine, Nicolas Martel. La troupe est belle. Marchet et Valérie Leulliot dégagent une force et une mélancolie absolue, presque centrales dans le spectacle. Nicolas Martel, immense perche à la souplesse et à la gestuelle quasi-clownesque, à l’incroyable présence physique et vocale, étonne en permanence. Immense conteur et beau félin dans un même temps, Cathrine n’est pas reste en termes de présence physique, dit ou chante ses textes sans lâcher l’attention de l’auditoire d’une synapse. La troupe est très mouvante, tourne en permanence, échange les places comme on décide d’une charrette, au gré des vagues et des valses sentimentales. Elle met en place le formidable décor mental, presque tangible, d’histoires articulées avec une grande grâce, elle donne un magnifique corps musical aux destins de la SINOC et de ses satellites. Quelques reprises exogènes ponctuent le déroulement de l’histoire cinoque et amère (l’à point nommé Le Travail de Dominique A, Regarde un peu la France de Miossec, Gagner l’aéroport de Murat, Des hauts et des bas d’Eicher ou l’à point nommé Ultra Moderne Solitude de Souchon). Marchet & co réussissent surtout à redonner à chacun des mots de Frère Animal sa terrible violence émotionnelle -on ne ressort pas de la visite de la SINOC sans quelque bouleversement intime, et on contemple, le lendemain matin, sa propre SINOC et son propre destin d’un œil plutôt inquiet.
Concerts annoncés : 12/2 Palaiseau, 3/4 Cherbourg, 7/4 Mondeville, 8/4 Allonnes, 4/5 Châteaubriand.
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