Will Self, écrivain pessimiste Son nouveau rédacteur en chef lui avait demandé d’être plus optimiste dans ses chroniques hebdomadaires. Peine perdue.
J’aimerais pouvoir dire que mon année a été dominée par de nobles préoccupations intellectuelles comme le traité de Lisbonne et le futur de l’Europe, la présidence d’Obama et le durcissement de la guerre en Afghanistan, peut-être même par la perspective du sommet de Copenhague, mais malheureusement cela n’a pas été le cas. En réalité, à moins qu’un chroniqueur soit lui-même directement engagé politiquement, j’ai toujours trouvé cela plutôt suspect qu’il ou elle incorpore continuellement les événements publics dans les recoins les plus intimes de la vie privée : cela suggère une personnalité aussi bien ordonnée que le placard à chaussures d’Imelda Marcos. Mon année a donc été encore plus informe que la précédente et moins en phase avec les problématiques collectives. Ici, dans ce qu’on appelle faute de mieux le monde anglo-saxon, la seule information qui a eu un réel impact a été l’économie – stupide ! Et ici, à Londres, la capitale d’une économie qui, pendant la dernière décennie et même bien avant, a fonctionné comme une droguée en roulant les billets de banques et – au lieu de les utiliser pour sniffer de la cocaïne – les enfonçait dans son propre nez, le glissement vers la récession a été plus rapide et plus dur que nulle part ailleurs – excepté en Irlande ou en Islande. Une des seules choses qui m’ont maintenu dans la routine du monde, c’est cette chronique que j’écrivais dans l’hebdomadaire londonien The Evening Standard. Mais, pendant l’été, il a été racheté par Alexandre Lebedev, ex-membre du KGB et ancien oligarque russe. Lebedev s’est acheté un journal comme d’autres riches s’achètent des équipes de foot – comme le symbole d’un statut social. J’espère que ça l’a bien éclaté parce que son portefeuille, lui, s’est pris une grosse claque : le Standard est en pleine agonie comme tous les journaux britanniques. Ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai perdu ma chronique : c’est à mon propre pessimisme que je dois m’en prendre. Alexandre Lebedev a emmené dans ses valises le rédacteur en chef d’un nouveau magazine société de luxe dont le credo favori était l’optimisme. “Je veux des contributions qui montrent que Londres est une ville captivante et débordante d’optimisme” m’a-t-il dit la première et unique fois où nous nous sommes rencontrés. Par conséquent, étant l’un des rares journalistes à avoir prévu l’effondrement économique, le bain de sang à Helmand en Afghanistan et l’impossibilité de réduire les émissions de CO2, j’ai été mis à la porte. J’ai aussi perdu mon autre “apparition” régulière en automne 2008, ma chronique “PsychoGeography” dans The Independent. Je l’ai écrite pendant cinq ans et cela m’a donné le prétexte et l’élan pour voyager. Cette année, sans cela, j’ai trouvé très dur de marcher jusqu’au bout de ma rue. J’ai entrepris un seul long voyage. En mars, je suis allé à Dubaï dans le Golfe. En fait, je suis d’abord allé rendre visite à mon ami J. G. Ballard dans sa maison de Shepperton – il y est mort le mois suivant – puis à Heathrow, où j’ai pris l’avion pour Dubaï. J’ai marché pendant deux jours dans cette ville immense – et immensément improbable – et dans le désert du Empty Quarter. Dubaï est une folie vulgaire et ineffable, une faillite en puissance : trois fois la taille de Manhattan de bureaux, d’immeubles d’habitations et d’espaces commerciaux vides, tout cela construit en seulement soixante ans par des travailleurs manuels inféodés et corvéables à merci, arrivés par avion du sous-continent indien. Marcher dans cette ville est sans doute l’une des expériences les plus étranges et les plus déplaisantes de ma vie. J’en ai fait un papier pour Granta, mais je n’aurais rien pu faire pour le Evening Standard qui aurait satisfait l’esprit panglossien du rédacteur en chef. Bien sûr, je suppose qu’aujourd’hui – le gouvernement de Dubaï étant sur le point de manquer à ses engagements pour le remboursement des prêts financiers – je pourrais dire “je vous l’avais bien dit”, mais quelque part ce n’est pas si amusant que cela. Amusant, cela l’était bien plus en France, le seul autre pays où j’ai voyagé cette année, par trois fois à vrai dire. Comme Laurence Sterne l’a observé, “Ils gèrent ces problèmes bien mieux (en France)”, et sans aucun doute c’est comme cela que je l’ai vécu. A Lyon, en mai, j’ai assisté aux Assises internationales du roman où j’ai fait une intervention sur Céline ; à Paris, en septembre, j’ai donné des interviews autour de la publication de mon roman No Smoking, et, entre ces deux visites, j’ai sillonné la France en tout sens, m’arrêtant pour dormir dans de fabuleux campings. Ecrire est une chose, mais faire du camping me tient encore plus à cœur : avec des campings d’une telle qualité, la France n’a rien à craindre du reste du monde. Comme en matière de littérature, qu’à part Céline je ne suis pas en position de commenter. I Traduction Gladys Marivat Photo Vincent Ferrané
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