Thomas Hirschhorn, artiste pas neutre. Le plasticien suisse aimerait que son pays sorte de son cocon, ce qui éviterait bien des dérapages.
Minarets
J’ai assisté – une fois encore – aux défaillances et aux limites de la démocratie directe pratiquée en Suisse. Il y a cinq ans déjà, avec mon exposition Swiss Swiss-Democracy, j’avais voulu donner forme à cette inquiétante dérive de la démocratie directe, qui a pour logique de trouver un consensus ; mais on ne peut vivre dans le consensus avec un fascisme larvé. Comment prétendre incarner la démocratie parfaite si, dans le même temps, cette démocratie se ferme à l’autre et se replie sur elle-même ? Car le démocrate doit agir pour une démocratie universelle ; il doit se battre et se confronter aux visages de l’Autre. La démocratie doit être conquérante et reconquise chaque jour.
Repli
Pourquoi la Suisse ne fait-elle pas partie de l’Europe ? A cause du fallacieux argument de la démocratie directe, de ses protocoles dépassés. Aujourd’hui, dans notre monde globalisé, complexe, il n’est plus possible d’être à part, de se maintenir à part, donc nulle part. La seule chose que mes amis français connaissent de la Suisse , c’est le secret bancaire, le conflit avec la Libye, le vote contre les minarets, les problèmes posés aux frontaliers. Du secret et du négatif, comme si la Suisse était protégée par une chape de plomb. Il n’est plus possible de rester chez nous, de vivre bien mais dans notre enclos, de ne pas vouloir payer pour les autres. Nous devons briser le mythe de l’autarcie suisse, d’un pays qui se suffit à lui-même.
Minorités
C’est pour protéger les populations minoritaires des petites vallées, par opposition aux grandes villes, que la Suisse avait adopté ce système. Mais aujourd’hui nous avons changé de minorités : elles sont désormais religieuses, culturelles, économiques, ethniques, sexuelles, culturelles et sociales. Ce sont elles qu’il faut défendre aujourd’hui. La démocratie suisse n’a pas évolué ni reconsidéré quelles sont aujourd’hui ses minorités. Paradoxalement, dans une démocratie qui ne s’interroge pas elle-même et qui ne s’adapte pas, une minorité peut bloquer la majorité et ainsi rendre minoritaire la majorité : terrible engrais pour le fascisme.
Des minarets en forme du missile : l’affiche du vote
Ce n’est pas la première affiche dans cette veine : ignoble, vicieuse, nauséabonde. L’extrême droite instrumentalise l’affiche en usant d’un graphisme haineux : des passeports suisses et des mains de couleur prêtes à les arracher comme des fruits mûrs ; des moutons noirs infiltrés. Cette affiche a permis d’occulter le vrai sujet du vote. Elle est devenue un leurre pour masquer l’objet du combat à mener.
Affaire Polanski
Il faut être juste : je n’ai pas à me prononcer sur cette affaire, puisqu’à aucun moment le travail, les films, l’œuvre de Roman Polanski n’ont été attaqués, poursuivis ou censurés. Mais je reste prêt à défendre l’art à tout moment, partout et toujours, le mien et celui des autres.
Débat sur l’identité nationale
Ce débat caduc n’a aucun sens. Ce que j’ai toujours aimé en France, c’est l’idée républicaine. Pour moi l’égalité, la fraternité, la liberté ne sont pas des termes vides : il faut les remplir tous les jours – de nouveau – avec du sens. L’idée de République est une résistance-même aux fascismes. Je peux entendre – ici en France – des débats, des discussions sur la République, sur la laïcité, sur les frontières entre ce qui relève de l’Etat et de l’individu. Il y a une lucidité, une rigueur et une clarté, alors qu’en Suisse ces débats n’ont pas lieu. Quant à moi, je veux être démocrate tout en refusant d’être un “sujet de la démocratie”. Il m’importe de ne pas me faire “démocratiser”. J’entends rester souverain.