Quel est aujourd’hui le rôle d’un musée dans un contexte globalisé ? Les musées du futur seront-ils des lieux de recherche et de résistance? Les marionnettes d’entreprises désireuses de redorer leur image ? Ou bien des mega-centres de divertissement franchisés?
Centre Pompidou, MoMa, MOCA de Los Angeles…Le 12 janvier, à la fondation Louis Vuitton, s’est réuni la crème de la crème des directeurs de musées d’art moderne et contemporain, afin de réfléchir au musée de demain. Un colloque public qui venait à point nommé, tant les missions et formes des musées connaissent de rapides bouleversements.
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Détricoter l’histoire
Ces dernières années, les musées se sont évertués à faire entrer la culture populaire, à brouiller les frontières et abolir les hiérarchies entre les arts. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de montrer que cette époque où l’histoire de l’art moderne traçait un chemin unique et linéaire est révolue. Pour reprendre le nom d’un accrochage des collections du Centre Pompidou – consacrant d’ailleurs en ce moment une exposition à la création indienne – il existe non pas « une modernité » mais « des modernités plurielles ».
Autrefois conçus comme les étendards de la culture d’une nation, les musées occidentaux s’érigent maintenant contre le modèle d’un musée-temple du savoir, imposant aux néophytes une histoire occidentale et masculine de l’art, proférant avec autorité un discours unique et rigide. « Nous devons nous décentrer« , affirme Bernard Blistène lors de la table ronde, « évaluer et réévaluer les moments ignorés à l’aune d’autres pays« . Les intervenants du colloque soulignent leur engagement: à savoir détricoter le récit canonique de l’histoire de l’art moderne, ouvrir leurs collections à d’autres régions du monde et mettre sur le devant de la scène des artistes que l’histoire auraient à tort relégués dans les marges.
Lorsque les directeurs de musée occidentaux examinent leur collection, certains se trouvent bien en peine. C’est d’ailleurs le cas de Susanne Gaensheimer, directrice de la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf, s’attristant que le noyau historique de sa collection ne comprenne aucune artiste femme. Et puis, faites donc rapidement un tour des musées en Europe et en Amérique du Nord, vous admettrez bien que tous font plus ou moins collection des mêmes artistes. Picasso, Braque, Pollock…Les collections, miroirs des inégalités, sont occidentales et masculines et, pour caricaturer, européennes avant 1945 et américaines après la seconde guerre. Ce constat fait, quelle stratégie adopter ? Acquérir de nouvelles œuvres et « combler les trous » de la collection ? Se rattraper dans les collections contemporaines ? N’est-il pas trop ambitieux de vouloir collectionner l’art contemporain dans toute sa diversité ? Une idée revient alors : la collection idéale n’existe pas.
De bonnes intentions ?
Pendant le colloque, les intervenants se dressent contre une homogénéisation des collections d’art contemporain. Le modérateur du débat du matin, le curateur « super-star » de l’art contemporain, Hans Ulrich Obrist, cite l’écrivain Edouard Glissant, démontrant qu’en période de globalisation, le risque d’extinction des singularités culturelles est vif et que, de fait, les musées sont tenus de cultiver leur singularité pour les préserver. Un vœu pieux ? Collectionner est une entreprise périlleuse et rappelons que les collections d’art contemporain sont vouées à se recouper, les conservateurs de musées faisant souvent leur shopping dans les mêmes lieux et appartenant à une élite culturelle profondément mondialisée, cosmopolite et en réseau. Les musées peuvent-ils vraiment cultiver leur différence ?
Quoiqu’il en soit, tous les intervenants ont bien conscience que l’histoire se modèle en fonction des préoccupations contemporaines et qu’il est nécessaire de sortir des réserves et de présenter des œuvres faisant écho au contexte social. »Dans le contexte politique actuel, les musées doivent prouver leur ouverture et leur générosité« , affirmait le directeur du MoMA. Le musée ne peut être seulement un lieu de plaisir esthétique mais un lieu de sociabilité et de réflexion politique, voué à spéculer sur la société de demain. « Un lieu de résistance« , selon les mots de Manuel Borja-Villel, directeur du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.
Le mariage du public et du privé
Si cet article se contentait de traiter du contenu de la conférence, peut-être serait-il venu le temps de conclure et de regretter que les musées d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du sud et d’Océanie ne soient pas représentés dans le panel du colloque. Et que des sujets, pourtant cruciaux, aient été seulement mentionnés voire carrément omis. Parmi eux, une interrogation : comment les musées peuvent-ils concilier des expositions réhabilitant des oeuvres inconnues du grand public et continuer d’attirer celui-ci ? Les mega-musées, disposant de plusieurs espaces d’expositions, sont les mieux lotis et le développement des nouvelles technologies permet de renouveler les modalités de dialogue entre un musée et son public. Certains musées mettent ainsi le paquet, à coup d’applications, de dispositifs de médiation numérique. Et d’événements. Car il faut noter que le monde de l’art « s’événementialise ». Ateliers pédagogiques, cuisine, séances de tango, organisation de bals, performances…Comment concilier cette programmation dynamique avec le plaisir traditionnel de contemplation ? L’heure est à la sollicitation, l’interactivité, la participation active du visiteur. En ce début de XXIème siècle, le musée offre aux visiteurs une denrée rare: une présence.
Mais cette stratégie est-elle suffisante pour satisfaire les exigences de rentabilité économique des musées ? N’oublions pas que le musée n’est pas une enclave hors du temps et de l’espace, mais un lieu ancré dans une réalité, un lieu de tractation économique de plus en plus proche du secteur privé. Pour le meilleur et pour le pire. En témoigne la récente affaire de conflits d’intérêts au Stedelijk Museum d’Amsterdam ou encore le scandale Ahae, un milliardaire photographe amateur auquel l’Orangerie du Château de Versailles consacra en 2013 une exposition. Tous les musées publics seront-ils demain soumis aux exigences et aux goûts de leurs puissants mécènes ? Pourra-t-on acheter une retrospective? Alors que les fondations et collections privées prolifèrent et que l’argent privé joue un rôle de plus en plus central dans la survie des musées publics, pourrons-nous encore faire la distinction entre collection publique et privée ?
Le musée, une entreprise ?
Pour faire face à la baisse des subventions publiques, les musées ont de plus en plus recours au mécénat, tout en essayant de garder leur indépendance. Aussi organisent-ils des expositions“blockbusters“, investissent dans la vente de goodies, invitent des librairies et restaurants dans leurs espaces, développent une stratégie marque. Les musées sont-ils des entreprises comme les autres? Les grosses institutions s’exportent en région et monétisent leur implantation à l’étranger, comme le montre le dernier cas en date, le Louvre Abu Dhabi. Néo-colonialisme ou simple transfert d’expertise ? L’occasion de diffuser une partie de ses réserves à l’étranger ou renforcer une certaine idée convenue de l’art?
Le paysage mondiale des musées est bouleversé et il est difficile de vraiment le saisir, tant les musées et fondations privés profilèrent ou s’agrandissent. En Chine, 300 musées sont ouverts par an…Le MoMA travaille sur un projet d’extension. Faut-il de plus grands musées ? Dans une tribune du Guardian, l’écrivain Orhan Pamuk écrit: « Il est urgent que les musées deviennent plus petits, plus individualistes et moins cher. » A défaut d’imaginer des mega-musées centre de loisirs, imaginons plutôt un futur dans lequel les musées seraient plus légers, plus proches de la population et surtout plus humbles…
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