Les ados acteurs d’Elephant de Gus Van Sant
JOHN, ALEX, ELIAS, BENNY, ERIC…
KIDS > Elephant a été inspiré par la tuerie de la Columbine High School, aux Etats-Unis où,en 1999, deux adolescents tuèrent treize autres élèves avant de se donner la mort. Et ce qu’en montre (et n’en montre pas) Gus Van Sant est infiniment subtil et passionnant. On reviendra sur le choc esthétique et politique du film mais, au-delà du fait divers, Elephant tire toute sa puissance d’un motif cher à Gus Van Sant, de Mala Noche à Gerry en passant par My Own Private Idaho : l’adolescence, que le regard de Van Sant porte à un point d’incandescence inédit.A cela, d’abord une raison formelle. Van Sant cadre ces adolescents la plupart du temps de dos, à la juste distance, en plan américain, avec un travelling avant, dans une sorte de ralenti un peu plus rapide que le ralenti habituel, mais beaucoup plus languide que la vitesse normale du cinéma. Cette question de rythme est cruciale, car elle donne au regard de Van Sant sa douceur et son empathie si particulières. Certes, beaucoup de ces kids sont des bombes de sensualité, mais tout aussi bouleversante est la scène où une fille au physique ingrat subit les moqueries de ses camarades de classe et refuse de se doucher avec les autres. Chez un autre cinéaste, elle ne serait qu’une nerd de plus. Filmée par Van Sant, elle prend une dignité impressionnante. Idem pour les trois pétasses qui se font vomir dans les chiottes. La scène pourrait évoquer une séquence d’un reality-show sur l’anorexie mais, via le regard de Gus, on ressent une énorme bouffée de tendresse pour ces trois filles. Cela dit, dans Elephant, ce sont plutôt les corps des garçons qui se taillent la part du lion. L’image déjà la plus connue du film est ainsi irradiée par la chevelure jaune paille de John, alias John Robinson. Si Elephant devait être une couleur, ce serait celle de ses joues légèrement rosées. Cette couleur qui ne dure que le temps de l’adolescence : les peaux d’adulte n’ont plus de ces nuances pourpres. A ce titre, Elephant est une nuit opaque illuminée par des météores qui ont pour nom John donc, mais aussi Alex, Elias, Benny ou Eric. Van Sant n’a pas voulu d’acteurs professionnels mais a organisé un casting de « modèles » : on pense autant à Bresson qu’à la trilogie de Paul Morrissey avec Joe Dallesandro. Chez chacun d’eux, la caméra de Gus saisit le plus beau, le plus troublant, jusqu’au vertige.Ces allures, ces dégaines, ces façons de tenir son corps que filme Gus Van Sant sont d’autant plus troublantes qu’elles dissimulent un malaise profond. Nous sommes dans le décor d’un teen-movie, un lycée américain, mais c’est un drame qui se noue. Un drame dont la clé, en se gardant bien de vouloir tout expliquer, est sans doute à chercher du côté d’un certain nihilisme contemporain. Smells Like Teen Spirit, chantait Kurt Cobain. Ici, l’adolescence n’est pas qu’un commencement, mais aussi une fin.