Retour en grave et en monumental pour l’artiste Christian Boltanski, qui investit à la fois la nef du Grand Palais et le Mac/Val de Vitry-sur-Seine.
« Certains artistes aiment travailler au soleil et dans les pays chauds. Moi je suis un meilleur artiste par temps froid. Malgré mes origines corses, mon pays rêvé se trouve quelque part entre la Prusse et la Pologne, c’est la grande plaine polonaise.” On ne s’étonnera pas des deux premières décisions prises par Christian Boltanski quand il s’est agi pour lui d’investir la nef du Grand Palais : déplacer d’abord en plein hiver l’événement Monumenta habituellement organisé en juin et éteindre le chauffage. Si bien que quand on vient à sa rencontre dans la nef encore vide, ce matin de début janvier, premier jour du montage, il fait -5 degrés à Paris, -10 au Grand Palais : “C’est parfait !, commente-t-il en souriant. Pour moi, le froid fait partie de l’œuvre. Ce n’est pas un élément extérieur : en entrant ici, avant d’avoir rien vu, tu es déjà dans l’œuvre.”
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Saison réelle, saison mentale : voilà plus de quarante ans que Christian Boltanski, 66 ans, artiste majeur de la seconde moitié du XXe siècle, nous entraîne dans un long voyage d’hiver. Hiver de l’histoire, avec ses Monuments qui évoquent lointainement le spectre de la Shoah. Hiver de l’enfance, avec ses autofictions et ses Inventaires des années 1970, à la recherche de cet enfant mort que chacun porte en soi. Hiver de la vie, avec ses théâtres d’ombres macabres. Non qu’il soit d’un naturel triste – le personnage est même plutôt joueur, rieur, volontiers tricheur, n’hésitant pas à parsemer ses interviews de menus mensonges et enfilant trois sous-pulls Damart pour endurer le froid qu’il impose à tous sous la nef du Grand Palais.
“Très simplement, je crois que certains artistes travaillent sur la vie et d’autres sur l’histoire de l’art. Dans les faits, c’est plus compliqué et les choses se croisent mais mon travail, c’est de questionner la vie. On a vu beaucoup d’œuvres légères et bling-bling ces dix dernières années. Je ne crains pas d’affirmer que le travail artistique est une chose extrêmement sérieuse. Mon art se situe dans le monde de la pensée. Il faut assumer la gravité des choses.” Dans la nef du Grand Palais, c’est une œuvre démesurément grave que Christian Boltanski se prépare à montrer : “Une parabole sur la mort et le hasard. A mon âge, on voit des amis mourir autour de soi et on se demande pouquoi celui-là s’en va et pourquoi moi je reste. Au fond de la nef, une œuvre symbolise cette interrogation : c’est une immense pile de vêtements, de 20 mètres de large, de 10 mètres de haut. Au-dessus, une grue prendra au hasard des vêtements et les relâchera ailleurs. Comme ce jeu à la fête foraine, où l’on essaie d’attraper des peluches avec un crochet.”
Au Mac-Val de Vitry où il expose simultanément, il a construit un sombre labyrinthe où des sculptures-personnages interrogent le visiteur sur le passage de la vie à la mort. “Les deux salles de l’enfer. La mise à mort d’un côté, les limbes de l’autre.” Auparavant, l’artiste aura investi le lieu à l’horizontale et couvert le sol du Grand Palais d’un vaste cimetière de vêtements, résonnant de milliers de battements de cœur enregistrés et diffusés par haut-parleurs. “J’en ai enregistré énormément, que j’ai déposés dans un petit musée qui se construit sur une île du Japon. J’aimerais que dans cinquante ans, on puisse aller sur cette île pour écouter le battement de cœur de gens morts. C’est une fiction, mais pour qu’elle fonctionne il faut la réaliser en entier.”
A écouter l’histoire de cette œuvre posée du bout du monde, on se dit qu’après dix ans passés à organiser des installations-spectacles et travailler sur le mode du théâtre, le travail de Christian Boltanski a pris un visage très différent, moins centré sur l’objet. “Il a beau dire qu’il fait tout le temps la même chose, en réalité son œuvre est étonnamment variée, avec des périodes très distinctes”, confirme Catherine Grenier, commissaire de l’exposition. “L’essentiel de ce que je fais aujourd’hui est éphémère et dématérialisé, reprend Boltanski. Tout ce qui sera au Grand Palais sera détruit, rien n’est monnayable. Le marché de l’art s’est montré pénible et omniprésent ces dernières années. J’avais le désir inconscient d’échapper à tout cela et je suis allé vers d’autres choses comme le théâtre.”
Récemment, l’artiste a même parié sur sa propre mort avec un étonnant collectionneur de Tasmanie : “Un type incroyable, un mathématicien autiste doté d’une mémoire prodigieuse et qui a fait fortune en jouant au casino. Je lui ai proposé de me filmer sans arrêt à l’atelier. En échange, il me paie jusqu’à ma mort. Si je meurs dans trois ans, il aura fait une affaire. Si je meurs après huit ans, il paiera plus que le prix de l’œuvre. J’aime ce jeu d’échecs avec le diable. Lui dit qu’il est sûr de gagner. J’espère qu’il va se tromper.”
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