Au bord de la faillite, 10 % de chômage, 10 % d’inflation, les Islandais réévaluent leur pays : leur vraie richesse est ailleurs.
« Ç’était l’ère de l’innocence…” constate Andri Snær Magnason, écrivain best-seller et Nostradamus islandais : il a vu venir la crise avant tout le monde dans Dreamland, ouvrage paru en 2006, et sous-titré “Manuel pratique pour une nation qui a peur”. “Tout d’un coup, le gouvernement s’est mis à privatiser les entreprises en les confiant à des gens proches du pouvoir. Ça a été le premier pas vers la corruption du système…, explique-t-il. Le gouvernement s’est mis en tête de doubler la capacité énergétique du pays. Cela a créé un boom économique. Les gens se sont mis à en vouloir toujours plus, à acheter de grosses voitures, à prendre de plus en plus de risques. Un jour, tout s’est écroulé. Tout cela était prévisible !”
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Pendant une décennie, à la fin des années 1980, l’Islande s’est portée à merveille. Malgré sa petite taille, elle s’est retrouvée parmi les cinq pays les plus riches de l’OCDE. Progressiste, elle semble en tête de l’Europe : alors que Berlin se débarrasse à peine de son Mur, Reykjavík élit la première femme présidente au monde. L’Islande n’est engagée dans aucune guerre et compte son argent sans avoir colonisé aucun pays. Mais à force d’étendre et de gonfler artificiellement son économie, l’île a fini par exploser.
Andri est l’un des leaders des manifestations qui ont eu lieu chaque semaine en 2007 devant le Parlement. Le gouvernement a démissionné devant la pression en janvier 2009. On n’avait jamais vu pareil soulèvement populaire en Islande. Ici, pas de tradition contestataire ; la dernière fois que la police avait tiré des grenades lacrymogènes, c’était il y a cinquante ans, pour dénoncer l’entrée de l’île dans l’Otan.
Artistes, écologistes ou militants gays ont réveillé le pays ces dernières années. En 2006, les Verts se sont fâchés lorsque le gouvernement annonça qu’il allait installer une usine d’aluminium à 70 kilomètres de la ville de Reydarfjördur, dans le sud-est de l’île. Une lubie coûteuse et incompréhensible. L’Islande qui dispose, grâce à l’hydraulique et la géothermie, d’une énergie renouvelable à 80 % est quasi indépendante en la matière. “C’était totalement absurde, commente Andri, l’un des leaders des manifestations. Le seul but était de créer de la valeur, en gonflant artificiellement les ressources et les moyens de production.”
Du 20 au 22 janvier 2009, les Islandais se soulèvent par milliers. “C’était exceptionnel. Les Islandais ne disent jamais rien, ils n’ont pas l’habitude de protester contre le pouvoir en place. Ils en ont peur…” explique Gusti, chef cuisinier à Reykjavík, l’un des premiers à venir tambouriner sur des casseroles devant le Parlement, habillé en orange en hommage à la révolution ukrainienne de 2004. “Cette révolution d’ustensiles de cuisine, comme on l’a nommée, exigeait le départ du gouvernement, l’organisation de nouvelles élections et une inculpation pour les banquiers qui avaient causé notre chute. Nous avons tout obtenu sauf ce dernier point”, déclare-t-il, hilare.
Gusti habite près de l’aéroport de Reykjavík. Avant la crise, il avait du mal à dormir : “On entendait des jets privés atterrir et décoller en permanence. Les businessmen partaient pêcher le saumon à 1 000 euros la séance de pêche. Avec la crise, tout est devenu plus calme.”
“Nous avons fait une révolution cubaine sans Castro et sans idéologie, ajoute Andri. Nous avons presque tout nationalisé, mais sans avoir rien demandé ! En termes politiques, nous n’avons pas su profiter de l’occasion. Nous gardons ce côté thatchérien : chez nous, il suffit de rouler en Porsche pour avoir l’air capable de gérer une entreprise.”
Cette minirévolution a réchauffé la conscience politique des Islandais : “Nous avons compris tout d’un coup que nous ne serions plus jamais l’une des nations les plus riches au monde, analyse Gusti. En réalité, nous ne l’avons jamais été. Nous l’avons cru, et nous avons du coup vécu comme des rois pendant des années. On le paie aujourd’hui.”
L’Islande a de nombreux créanciers, dont la Grande-Bretagne, qui avait investi aveuglément dans ce paradis artificiel. En représailles, en octobre 2008, au plus dur de la crise, Gordon Brown décide d’inscrire l’Islande sur la liste des pays terroristes aux côtés de l’Iran et de la Corée du Nord. Le but : geler les actifs de la banque islandaise Landsbanki qui menaçait d’entraîner dans sa chute de nombreux investisseurs britanniques.
Pour protester contre le recours à une loi antiterroriste édictée après le 11 Septembre, et cette fois contre un pays ami, Magnús Arni Skúlason, docteur en économie, fonde à cette époque l’association Indefence. “C’était ridicule et cela a eu pour premier effet de faire tomber la plus grosse banque islandaise. Notre troisième banque, qui avait une valeur marchande d’environ la moitié du PIB islandais, a fait faillite à ce moment-là. L’Islande s’est retrouvée au bord de la cessation de paiement. Ça a été une bonne chose pour l’Europe, contrainte de réagir.”
L’Islande a été le premier pays à être touché par l’effondrement du mastodonte américain Lehman Brothers. “L’impact a été monstrueux car le système bancaire islandais représentait dix fois le PIB du pays !” explique Magnús. Aujourd’hui, le taux de chômage atteint les 10 %, l’inflation 10 % et la monnaie s’est dévaluée de moitié. McDonald’s a quitté l’île, tout comme 1% de la population.
Pourtant, l’Islande a toutes les raisons de croire en un avenir meilleur. Elle possède les ressources essentielles qui manqueront de manière inéluctable dans l’avenir : une nature préservée, une énergie renouvelable inépuisable, de l’eau potable en abondance, un potentiel touristique sous-exploité et un milieu artistique parmi les plus diversifiés et actifs au monde.
“On entre dans une ère plus saine, plus modeste, affirme Andri. Cette crise était une cybercrise. Les gens qui pensaient être milliardaires ne l’étaient pas. Ceux qui pensent avoir perdu des milliards aujourd’hui se trompent tout autant. Toute cette richesse financière n’a jamais existé. Notre richesse, qui est grande, se trouve ailleurs.”
Depuis juillet dernier, le Parlement islandais a autorisé l’ouverture de discussions pour l’adhésion à l’Union européenne. Mais pour cela, le pays devrait accepter des quotas de pêche, en finir avec la chasse à la baleine. Ajoutons que l’Islande n’est pas prête aujourd’hui à rembourser ses 3,5 milliards de dettes à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.
Voté le 30 décembre par le Parlement, l’accord de remboursement Icesave a été rejeté par le président islandais Olafur Grímsson, qui a évoqué la très forte hostilité que la population nourrissait à l’égard du texte. L’accord sera donc examiné par référendum d’ici à début mars.
Selon un sondage publié le 8 janvier par le quotidien islandais Frettabladid, six Islandais sur dix ont l’intention de rejeter le remboursement. Autant dire que la perspective de l’adhésion à l’Europe s’éloigne. Quoi qu’il en soit, de récents sondages montraient que les Islandais y seraient défavorables : en cas de référendum, ils voteraient non à plus de 60 %.
Photo par Emmanuel25 sur Flickr
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