A 23 ans, elle bouscule la langue et les conventions pour ausculter le spleen amoureux de sa génération. Clichés ? Cette photographe de rock, proche de Peter Doherty, n’y cède pas : Roman à clefs sonne comme une ode à la rage d’aimer.
Le roman d’Alizé Meurisse sonne comme une promesse : Roman à clefs. Combien en faut-il pour percer le mystère de cette jolie fille planquée derrière sa frange, dans un café place du Châtelet à Paris ? Alizé est bien plus timide que son aura rock aurait laissé présager. A 23 ans, la jeune Parisienne est déjà auteur d’un premier petit livre scotchant, buzz avant même sa sortie en 2007. Pâle sang bleu décrit une jeunesse en fuite, où l’on devine à l’époque le spectre de Peter Doherty. Elle vient de passer plusieurs mois à Londres avec lui.
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Sur son amitié avec la rock-star, la jeune femme évite les effets d’annonce. Elle ne mentionne pas tout de suite le chanteur-guitariste de Second Sex (son frère de quatre ans son cadet) et ne parle pas davantage du livre sur le punk qu’elle traduit actuellement pour sa maison d’édition Allia. On l’imagine le poing levé dans un concert de Black Lips ou dans une fête bardée de substances illicites, battre des hanches sur un tube de Clash ou des Sex Pistols. En fait, pas du tout : “Je sors très peu de chez moi. J’ai toujours été une personne en retrait. Comme je n’ai pas le contact facile, je préfère rester dans mon coin. Du coup, j’observe.”
Chez Alizé Meurisse, l’aventure se passe de géographie. Dans Roman à clefs, on pourrait même avancer qu’elle est essentiellement intérieure. L’atmosphère de flirt gouailleur qui nervurait Pâle sang bleu a laissé place à un récit aux airs de soleil couchant : un gars et une fille y cuvent ce qu’on devine être leurs premiers chagrins d’amour.
Le début, ahurissant de grâce blessée, plonge jusqu’aux entrailles du spleen amoureux pour en livrer la quintessence poétique. “La question centrale du livre, c’est la foi, au sens large : l’envie, la rage de vivre. Le thème du chagrin d’amour était pour moi la meilleure façon d’en parler, parce qu’il met cette foi à l’épreuve.”
Alizé s’y connaît en termes d’épreuves. A 19 ans, elle a quitté ses parents pour se débrouiller toute seule à Londres : “Je sortais de deux années de prépa littéraire et mon père attendait de moi que je m’inscrive à la fac. Moi, je me sentais faite pour un métier artistique. Il m’a dit : “Je te préviens, si tu n’y vas pas, je ne t’héberge plus.” J’ai dit : “OK, je fais ma valise”, et je suis partie. C’était totalement inconscient.”
A cette époque, elle n’écrit pas grand-chose, sauf quelques notes sur de petits carnets. La lecture : un peu, “en papillonnant” de la philo (Nietzsche) à la poésie. La jeune fille trimballe surtout un Nikon et de grands cahiers à dessins. Au hasard d’une soirée de 31 décembre, un ami la présente à Peter Doherty. Elle lui montre ses oeuvres. Peter en avale sa vodka Red Bull de travers : adoubée par le leader des Babyshambles, la petite Frenchy réalisera la pochette de leur second album, puis celle du premier album solo du chanteur.
Ainsi commence un “échange artistique fort” – qui se prolonge encore aujourd’hui dans la maison de campagne où Doherty s’est installé. Un an plus tard, de retour à Paris, elle montre sa série de photos londoniennes à quelques éditeurs. Le patron d’Allia, Gérard Berreby, remarque ses notes. Et Alizé de se lancer dans la rédaction de Pâle sang bleu : “J’ai écrit mes deux romans à partir de notes. J’ai toujours un carnet sur moi. Au bout d’un moment, des réseaux se tissent, peut-être de l’ordre de la correspondance poétique.”
Alizé dit être une romancière “du corps, de l’organique”, ce qui exige d’être tout le temps “aux aguets”. Elle cherche “l’anecdotique” et pourtant, à tout moment on se dit que les métaphores qui émaillent son Roman à clefs ne le sont pas : dissonantes, bestiales, voire complètement magiques, elles attaquent la langue, la digèrent en folles analogies.
Il y entre beaucoup d’enfance, un peu d’angoisse. Celle-ci par exemple : son héroïne ne se trouve pas assez jolie. Sur les femmes et leur narcissisme écorché, elle porte un regard plutôt aiguisé : “Quand j’écris que les filles sont des coquettes, je sais que ça peut choquer. Mais c’est vrai : je ne crois pas du tout au nouveau discours féministe du genre : je joue de mes atouts et je prends le pouvoir. Les femmes sont devenues leur propre bourreau. Elles disent échapper à l’emprise masculine mais elles continuent à s’apprêter pour plaire aux hommes. Elles ont intériorisé cette contrainte extérieure.”
La solution ? Alizé sourit : “Etre un mec ou une bimbo.” Elle voudrait être aimée “telle quelle” : “Comme un homme à qui on dit “T’es vieux, t’es gros, mais je t’aime quand même.” Alizé n’est ni grosse ni vieille : plutôt belle et gracile, d’une intelligence encore perlée d’une merveilleuse innocence. Comment expliquer alors qu’on l’aime quand même ?
Roman à clefs (Allia), 128 pages, 9 €. Sortie le 21 janvier.
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