Wes Anderson comme cinéaste d’une génération en pleine fixette sur l’enfance et ses sortilèges.
Mais qu’espérez-vous, jeunes gens ? Sur scène, le cinéaste américain se penche avec un air affable vers le traducteur et le journaliste. Il répond aux questions, ni plus ni moins.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La salle est pleine ce soir d’avant-première du Fantastic Mr. Fox à Beaubourg. Le cinéaste la regarde peu, absorbé.
On se retourne vers l’audience : jeunes adultes, soignés, citadins en diable, ils regardent tous Wes Anderson avec une attente précise, celle qui entoure le cinéaste d’une génération.
Il y eut Bergman et Truffaut pour les parents, ceux nés dans les années 40. Soit le théâtre des névroses conjugales et familiales pour le premier (ligne charbonneuse), l’asocialité passionnelle orpheline pour le second (ligne claire).
L’un et l’autre formulaient des questions précieuses : quel est l’enfer que se partagent hommes et femmes ? Comment la violence du sentiment amoureux s’accommode, ou non, de la violence de la société ?
Pour la génération d’après, ceux nés entre les années 70 et 80, deux cinéastes peuvent jouer ce rôle de catalyseurs existentiels complémentaires (si l’on en croit un sondage intuitif).
Ligne charbonneuse : Arnaud Desplechin, ses personnages féminins fantasmés et maltraités, ses garçons mal définis et dévorés par la jalousie, sa manière tortueuse de penser, sa psychologie rapace.
Ligne claire : Christophe Honoré, son sens de l’esquisse, son aptitude à s’emparer du désir là où il se trouve, son romantisme inconséquent, son horreur de l’affrontement en profondeur.
L’un enfonce, l’autre effleure, l’un propose des personnages qui voudraient tant peser dans l’existence, l’autre des personnages qui aimeraient tant s’effacer.
Aux Etats-Unis, ce sont James Gray et Wes Anderson qui se partagent le rôle.
Le premier se débat avec la difficulté d’être à la hauteur des pères, ligne charbonneuse empreinte d’une certaine pompe tragique.
Le second, ligne claire, trébuche sur la difficulté à être synchrone avec la vie : géniaux trop tôt, gamins toujours, jeunes gens mal ajustés.
D’où le rythme si bizarre des films d’Anderson, courant après une scène idéale jamais atteinte, qui serait peut-être ce moment harmonieux où la vie coïncide avec elle-même.
Cette génération, la “nôtre” paraît-il, est la première à creuser une telle fixation sur l’enfance et ses sortilèges, prisonnière des hauts faits des générations d’avant et condamnée à un héroïsme minuscule.
Pourtant, le cinéaste d’une génération, c’est quelqu’un qui saisit certes les enjeux d’une vie d’homme ou de femme, mais surtout propose une issue pour sortir de l’enfance.
Cette issue, Gray la formule avec une idéale stupéfaction dans Two Lovers : qui sait le gain mystérieux obtenu en réintégrant le giron familial ?
Ce qui frappe dans Fantastic Mr. Fox, c’est la gestion maîtrisée des vitesses de récit, tout à fait nouvelle chez Anderson : une alternance d’emballements et de prostrations, habituellement chaotique chez le cinéaste, pour la première fois au service de l’euphorie complète du spectateur.
L’issue serait alors cette vitesse de croisière : la vie ne vous appartient pas plus qu’elle ne vous échappe totalement, disons qu’elle gagne à être connue. L’âge d’homme, peut-être.
{"type":"Banniere-Basse"}