Le procès Clearstream devait l’achever, il l’a relancé. Loin d’avoir les moyens de son ambition présidentielle pour 2012, Dominique de Villepin tente de miner celle de son meilleur ennemi.
Il y a deux procès Clearstream : le match judiciaire et le match médiatique. Le premier s’achèvera le 28 janvier. Pour le prévenu vedette Dominique de Villepin, trois issues possibles : une condamnation lourde sur la position des juges et de l’avocat de Nicolas Sarkozy pour “complicité de dénonciation calomnieuse”, une condamnation légère basée sur la réquisition du parquet pour “complicité par abstention” – le procureur de Paris Jean-Claude Marin a requis dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 45 000 euros d’amende –, ou la relaxe.
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Le journaliste Laurent Valdiguié, auteur du Procès Villepin (1), penche “pour une condamnation sur l’option hard”. Un avocat proche du dossier pronostique la condamnation de l’ancien Premier ministre de Chirac sur l’option légère mais estime qu’elle “serait scandaleuse car l’infraction de complicité par abstention n’existe pas en jurisprudence”. Un autre avocat : “J’ai l’intuition que le tribunal va aggraver les peines requises par le parquet.” S’ils sont condamnés, les prévenus Villepin, Lahoud et Gergorin devront aussi payer des dommages et intérêts aux parties civiles, qui réclament deux millions d’euros.
Dominique de Villepin a déjà annoncé qu’il ferait appel en cas de condamnation. Mais pour lui, le plus important est déjà joué : il a emporté le second match, celui de l’opinion, face à son principal ennemi politique Nicolas Sarkozy. Laurent Valdiguié raconte : “A l’intérieur du tribunal, Villepin était en lambeaux. Mais en dehors de l’audience, il a mis en place une super défense où il est gagnant-gagnant : s’il est relaxé, justice est rendue ; s’il est condamné, il démontrera en appel l’acharnement judiciaire de Sarkozy.” Villepin, accusé d’avoir falsifié ou laissé falsifier des listings impliquant le chef de l’Etat, a retourné le procès à son avantage, passant de comploteur à victime d’un procès politique et faisant de Nicolas Sarkozy le bourreau.
Le président a participé à ce retournement, poussé à la faute par un Villepin offensif. Le premier jour du procès, l’ex-Premier ministre attaque et marque les esprits en dénonçant “l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy”. Il le jure : il sortira du procès “libre et blanchi au nom du peuple français”. Deux jours après, le 23 septembre, Sarkozy agacé traite Villepin de “coupable”. Celui-ci ne pouvait rêver mieux. Interrogé à quelques jours du délibéré, Dominique de Villepin martèle encore : “Je n’ai rien à me reprocher, je ne suspends pas mon activité au résultat du procès. Mon engagement public n’est pas négociable. Je sortirai renforcé par cette épreuve.” Galvanisé ? Il ne pouvait pas demander plus que d’être désigné par Sarkozy comme son ennemi public n° 1.
“Chacun joue un rôle très important pour l’autre. Rien de ce que dit Villepin n’est indifférent à Sarkozy et réciproquement. Ils se défient, se jaugent, se provoquent”, explique Anna Cabana, journaliste politique au Point et auteur de Villepin – La verticale du fou (2). Leur première explication vigoureuse remonte à 1994. Villepin, directeur de cabinet d’Alain Juppé aux Affaires étrangères, répétait partout que Sarkozy ministre du Budget avait déclenché un contrôle fiscal contre son père. Sarkozy lui téléphone furieux. Pendant quinze ans, ils se marqueront à la culotte. “Ils ne se sont jamais tutoyés alors que Sarkozy fait ça avec tout le monde”, raconte Anna Cabana. Dans la longue rivalité-haine des deux hommes, “Clearstream a été un point paroxystique”, précise-t-elle.
Dans un premier temps, l’affaire va permettre à Sarkozy de se débarrasser de Villepin dans la course à la présidentielle de 2007. 2005 : après l’université d’été UMP de la Baule, Villepin passe devant dans les sondages. Mais au printemps 2006, lorsque l’affaire Clearstream éclate, Sarkozy prend l’ascendant en se posant en victime d’un complot. Jusqu’à ce que Villepin en fasse lui-même le tremplin de son retour politique inextricable de sa rivalité avec Sarkozy. Anna Cabana : “Villepin croit en Dieu, en la Providence. Il pense que Sarkozy lui a montré la voie : le combattre, au mieux le battre et au pire le faire battre.”
Ce qui inquiète les conseillers de Sarko. Le publicitaire Jacques Séguéla lui a fait savoir que Villepin pourrait devenir son Chevènement : l’éparpillement des voix à gauche au premier tour de la présidentielle de 2002 fut l’une des causes de la défaite du candidat socialiste, Lionel Jospin. En novembre, un sondage Ifop créditait Villepin de 8 % d’intentions de vote au premier tour de la présidentielle de 2012, à laquelle il s’est déclaré candidat. Loin derrière Sarkozy à 28 %, mais suffisamment pour inquiéter un président dont la stratégie électorale vise à réunir le plus grand nombre de voix au premier tour.
D’autant qu’en dehors de l’inévitable Sarko, il y a un boulevard à droite. Ceux qui ont des ambitions présidentielles, comme Jean-François Copé, attendent sagement 2017. Alain Juppé s’est proposé mais seulement en cas de désistement de l’omniprésident. La gauche pèche par son problème de leadership. Villepin se voit en homme providentiel : réaliste ou pathétique ?
Alors que Sarkozy a tissé sa toile pendant des années, Villepin n’a pas les moyens logistiques de son ambition. A peine une dizaine de députés se déclarent villepinistes à l’Assemblée nationale. Malgré les efforts de quelques-uns pour lancer le site internet clubvillepin.com, bénévolat, amateurisme et manque de moyens grèvent l’embryon de mouvement autour de l’ancien Premier ministre. Pour Anna Cabana, “s’il veut vraiment y aller, il ne pourra pas le faire en amateur comme ça”. Pour l’instant, sa seule force, c’est lui-même.
Il est à l’opposé du chef de l’Etat. Sans complexe physique, avec un parcours de haut fonctionnaire alors que Sarkozy est un militant qui a gravi un à un tous les échelons de la politique. Villepin se présente comme l’héritier et le représentant d’une autre idée de la France : “une alternative gaulliste, républicaine, sociale et indépendante”. En matière de politique économique, Dominique de Villepin propose de “défendre une politique de justice sociale et fiscale en suspendant le bouclier fiscal et en créant une nouvelle tranche sur l’impôt sur la fortune”. Voudrait-il refaire le coup de la fracture sociale de son mentor Jacques Chirac en 2012 ? Dans les médias, il ne perd pas une occasion d’attaquer la politique du gouvernement. L’identité nationale ? “Un faux débat à un mauvais moment qui risque d’attiser divisions et stigmatisation et bouc émissaire.”
Ses troupes s’attèlent à rappeler ses faits d’armes, notamment son discours contre la guerre en Irak à l’ONU. Mais passent sous silence la dissolution ratée de 1997 soufflée à Chirac et qui remit la gauche au pouvoir. Ainsi que les millions de manifestants contre le CPE en 2006 lorsqu’il était Premier ministre. Il était alors descendu sous la barre des 20 % de popularité. Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut de conseil politique Isana, insiste : “Ce n’est pas quelqu’un de fondamentalement très populaire.” L’absence d’opposant crédible à Sarkozy sur la scène politique française gonfle artificiellement sa popularité.
Anne Cabana : “Il n’a jamais voulu trancher entre ses différentes ambitions : président de l’Europe, secrétaire général de l’ONU, entrer à l’Académie française ou président de la République. Pour être candidat à la présidence, il ne peut pas être poète et opposant à Sarkozy.” Entre un livre, un poème, une conférence, une interview musclée contre Sarkozy, un voyage à l’autre bout du monde, l’homme se disperse, hésite. Jérôme Sainte-Marie : “La fonction qu’il peut espérer occuper est de faire du Bayrou sans Bayrou.” Moins flamboyant mais gênant. Pour éviter l’éparpillement des voix, Sarkozy devra-t-il se réconcilier avec lui ?
(1). Stock, sortie 27 le janvier
(2). Flammarion, sortie le 27 janvier
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