Dans les années 1980, la Figuration libre explose les standards de l’art. Une expo rappelle la vitalité d’artistes comme Ben, Di Rosa ou Basquiat.
Avec la réactivation en 2017 de l’attention portée aux œuvres de Supports/Surfaces ou de Michel Journiac, les années 1970, à la fois conceptuelles, activistes et performatives, ont refait surface au sommet du paysage de l’art. En ce début 2018, c’est au tour des années 1980 de resurgir à la manière d’une piqûre (d’un shoot) de rappel grâce à l’exposition Libres figurations proposée par le Fonds pour la culture Hélène & Edouard Leclerc à Landerneau.
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Cette décennie 1980, qualifiée de “grand cauchemar” par le philosophe François Cusset, fut marquée par la confusion d’un basculement vers une esthétique postmoderne et dépolitisée, rattachée aux éclats vernaculaires de la culture populaire plutôt qu’aux codes établis de l’ethos artistique.
Après les expositions l’an dernier de Robert Combas à la Collection Lambert à Avignon et d’Hervé Di Rosa à la Maison Rouge, ce nouvel événement confirme un regain d’intérêt pour une scène assez bizarre, longtemps négligée après l’effervescence de ses coups d’éclats sans grands lendemains. Comme si cette époque, pas totalement prise au sérieux, avait échoué à inscrire sa propre épopée dans l’histoire de l’art.
Un appel d’air pour la scène artistique au début des eighties
A la raideur et à la sècheresse de l’art minimal dominant, une génération d’artistes sans foi (politique) ni loi (esthétique) opposèrent un imaginaire débordant, puéril, bariolé, directement hérité du punk, s’incarnant dans des formes dites “libérées”. Libéré et rattaché aux pratiques quotidiennes de jeunes gens modernes, aspirés par le rock, le graffiti, les clubs, les médias, les comics…
Cet appel d’air parcourut la scène artistique dès le début des années 1980, avec la mouvance Figuration libre initiée par trois expositions clés : l’une, en 1981, 2 Sétois à Nice, Ben expose Robert Combas et Hervé Di Rosa ; l’autre proposée la même année par le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel, dans son loft parisien, Finir en beauté ; et celle de Marc Sanchez à Nice en 1982, L’Air du temps – Figuration libre en France.
Mais comme le documente l’exposition de Landerneau Libres figurations proposée par Pascale Le Thorel, cet élan artistique, voulant se libérer de l’esprit réfléchi des années 1970, traversa d’autres pays : aux Etats-Unis (Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Crash, Futura 2000, Kenny Scharf), en Russie (les “nouveaux artistes”, Novikov, Afrika…) ou en Allemagne (Luciano Castelli, Rainer Fetting…).
“Libre de faire laid, libre de faire sale” (Ben)
Du graffiti à l’affichage sauvage, de la peinture à la vidéo, les cinquante artistes exposés partagent un même tropisme, dont Ben a défini le cadre dans l’un de ses manifestes potaches en 1982 : “Libre de quoi ? Libre de faire laid, libre de faire sale, libre de préférer les graffitis du métro de New York aux tableaux du Guggenheim, libre d’avoir une indigestion de Supports/Surfaces, libre de dire ‘l’histoire linéaire de l’art de Ben, rien à foutre’, libre de préférer passer la nuit dans une boîte de nuit que d’écouter Sollers, libre de chanter ‘maréchal nous voilà’ ou ‘viens poupoule, viens’, libre d’aimer Mickey, la bande dessinée et pas Lacan, libre de s’en foutre si on vous dit : ‘tu copies’, libre de peindre sa bite en action, libre de peindre sur n’importe quoi” (1982). Pour la peintre Catherine Viollet, auteure d’un beau portrait de Bruce Springsteen (The River, 1981), “l’animalité” était ce “quelque chose qui rapprochait” un groupe plus instinctif que réfléchi, plein de vivacité et d’humour.
En rassemblant plus de deux cents œuvres, produites entre 1979 et 1986, l’exposition permet, à travers des jeux de correspondance, des échos multiples, de cartographier ce moment singulier, caractérisé par la pulsion de gestes animés par une envie de bousculer les codes convenus de la création artistique.
Cette liberté de la figuration des années 1980, palpable dans le mouvement du graffiti new-yorkais ou des “nouveaux fauves” allemands, se déploya sur la scène française dans des collectifs un peu oubliés : les Frères Ripoulin, VLP (Vive la peinture), Nuklé-Art, les Musulmans fumants…, tous peintres mais avec “une attitude de groupe de rock” selon Stéphane Trois Carrés, un des frères Ripoulin.
Des fresques et des frasques
Les Musulmans fumants, défenseurs des cultures minoritaires et du métissage culturel, réalisèrent des fresques en public, accompagnèrent des concerts (Grandmaster Flash au Palace en 1982), réalisèrent des couvertures de magazines (Actuel), des décors de spectacles, des génériques d’émissions de télé, des clips (La Danse des mots de Mondino).
https://www.youtube.com/watch?v=ZyuVTCUaG3w
Fondé en 1984 par des étudiants des Arts-Déco, dont le jeune Pierre Huyghe (devenu très grand depuis), le collectif des frères Ripoulin intervenait aussi dans la rue avec ses affiches détournant les fétiches de la culture populaire (le Pollux ou l’ours Colargol de Nina Childress, les logotypes abstraits de Claude Closky…). Comme le souligne aujourd’hui la peintre Nina Childress, seule fille membre des Ripoulin, “on voulait casser l’image du peintre intellectuel à écharpe et rendre la peinture sexy”.
Alors que la majorité des artistes de ces années 1980, à l’exception notable de Basquiat et Haring, mais aussi en France de Combas et Di Rosa, ont disparu des radars du marché de l’art, l’exposition de Landerneau salue la vitalité d’une scène vite évaporée dans le dur des années 1990, et dont la toile douce et apaisée de François Boisrond, Nos années 80, porte la trace mélancolique. Cette décennie fut aussi la nôtre. Jean-Marie Durand
Libres figurations, années 80 Jusqu’au 2 avril, Fonds pour la culture Hélène & Edouard Leclerc, Landerneau
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