Jamel Debouzze y est né, mais c’est aussi au départ de cette petite ville des Yvelines que se sont envolés des dizaines de jeunes pour rejoindre la Syrie. Comment Trappes est-elle passée, en quelques années, de berceau de talents à bastion de djihadistes ? De banlieue apaisée à foyer d’émeutes et d’affrontements meurtriers ?
Son nom évoque un piège, une fosse dont il est pénible de se sortir. Coincée entre la Nationale 10 et la voie ferrée qui file vers l’Ouest, Trappes est aujourd’hui banlieue dite « difficile », régulièrement citée en exemple par Emmanuel Macron lorsqu’il est question de délinquance et radicalisation. L’histoire de cette ville de 32 000 habitants est singulière à bien des égards. Avant d’être considérée comme un repaire de djihadistes, elle a été le théâtre de certaines des plus belles réussites françaises. Dans une enquête passionnante qu’elles ont baptisée La Communauté (Albin Michel), Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, toutes deux grands reporters au Monde, nous plongent dans les rues de cette banlieue fascinante et schizophrène, tiraillée entre les HLM et les pavillons, la gloire et la précarité, le communisme et l’islam radical.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
De cité apaisée…
Les premières pages du récit s’ouvrent sur le tableau d’une banlieue calme, cosmopolite et attachante. Agrandie dans les années 60 pour accueillir l’immigration maghrébine venue travailler dans les usines automobiles environnantes, Trappes a été le symbole d’un vivre ensemble auquel on peine à croire aujourd’hui. « Il y avait un vrai melting pot. Un melting pot, c’est quand tous tes potes ils se melting. Un pote à moi s’appelait même Mamadou Paolo Kader » ironise Jamel Debouzze qui y a fait ses premiers pas. Dans l’église, le prêtre a accroché au mur un grand planisphère « où chaque membre de cette paroisse de 650 fidèles plante une aiguille à l’endroit de son lieu de naissance« .
Pépinière à vedettes
Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin racontent la bienveillance d’une municipalité longtemps communiste, déterminée à « faire éclore des talents étouffés par des vies brinquebalantes« , à grand renfort de MJC, ateliers de rap et autres cours d’improvisation théâtrale. Car Trappes est un concentré de petits prodiges et a vu naître ou émerger certains des plus grands talents français : Omar Sy, Nicolas Anelka, La Fouine, Sophia Aram, Shy’m, Benoît Hamon et Jamel Debouzze, donc. Le récit est d’ailleurs rythmé des vannes préférées de celui qui, un matin de janvier 1990, perdit l’usage de son bras droit, fauché par un Paris-Nantes, alors qu’il narguait la mort sur les rails de sa ville.
Trappes a enfanté des stars mais les anonymes y sont tout aussi fascinants. A tous ceux qui l’ont observée, façonnée ou quittée, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin ont prêté une oreille attentive. Alain Degois dit Papy, prof de théâtre et improvisation, Bernard Hugo, maire de la ville durant trente ans, Marie-Laure Ségal, patiente prof de philosophie, Mustapha Larbaoui, pharmacien et président du club de foot, Ibrahim le libraire, Jaouad Alkhaliki l’initiateur de la Grande Mosquée, mais aussi les mères discrètes, obsédées par l’idée de « ne pas faire de vagues« , et tous les intrépides enfants. La Communauté est un puzzle de fascinants témoignages et anecdotes en tous genres recueillis par les deux femmes au cours de longs mois d’enquête. Si certaines font sourire, La Communauté est aussi l’histoire d’une cité redoutable et redoutée, où le trafic de drogue et la violence ont rongé les infrastructures et l’esprit des adolescents errant dans les parkings et les cages d’escaliers.
…à banlieue redoutée
Au rythme des sursauts de notre histoire (la guerre civile algérienne, le conflit israëlo-palestinien) et des maladresses de nos politiciens, usant de qualificatifs et d’attitudes dégradants pour la communauté musulmane, la ville de Trappes s’est enflammée. La deuxième génération d’enfants d’immigrés « qui paraît hésiter entre deux avenirs : s’intégrer ou s’affirmer » tombe lentement dans le trafic et la consommation d’héroïne, puis plus tard, dans le radicalisme religieux. Cette cité autrefois multicolore se scinde, les communautarismes grimpent en flèche. « Français ou algérien, français ou marocain, ils ne savaient pas toujours choisir ; musulman, c’est une bonne façon d’échapper à ce dilemme, c’est aussi une identité » écrivent les deux auteures. Profitant de cette instabilité, des porte-parole de l’EI investissent peu à peu les kebabs trappistes (dont le fameux Chicken Planet), quadrillent les différents quartiers à la recherche de jeunes à « recruter ». Aujourd’hui, Trappes bat le triste record de la ville d’Europe qui comptabilise le plus grand nombre de candidats au djihad.
La Communauté n’a pas de happy ending. Ceux qui en ont eu l’opportunité ont quitté Trappes, laissant derrière eux une banlieue désolée, royaume des interdits où les femmes ont déserté les cafés et les commerces tiré le rideau de fer. Les pouvoirs politiques s’y débattent, Shy’m ne se « souvient de rien, à part le parking de l’immeuble » et Jamel Debouzze contourne sa banlieue d’origine, depuis que ses anciens copains d’école ont saccagé ses représentations, par jalousie. Radicale rupture avec le passé que le comédien explique par ces mots : « Trappes, c’est de l’autre coté du monde ».
La Communauté, par Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué, aux Editions Albin Michel. En librairie le 4 janvier, 20€.
{"type":"Banniere-Basse"}