D’un style taillé au cordeau, l’auteur sonde un passé trouble, faisant du retour au village de son narrateur, un huis clos angoissant qui confine au thriller.
Des écritures s’imposent parfois sans qu’on y prenne garde. En trois romans, Vincent Almendros, né en 1978, a mis au point un style singulier, des textes millimétrés où le malaise s’installe dès les premières phrases. Comme dans Ma chère Lise (2011) et Un été (2015), le narrateur de Faire mouche se retrouve dans une situation a priori des plus banales – le retour dans sa famille – qui va, on le devine, nous réserver quelques (terrifiantes) surprises.
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“J’avais été, jusque-là, un homme sans histoire.” Il revient sur les lieux de son enfance, cet homme, dans un petit village au nom curieux, Saint-Fourneau, avec une jeune femme qu’il présente comme sa jeune épouse enceinte, Constance. Sauf que de toute évidence elle s’appelle Claire.
Tous deux arrivent pour le mariage d’une cousine. Derrière des apparences un brin conventionnelles, chaque étape de ce retour suggère un nombre incalculable de non-dits, de secrets non élucidés et d’épisodes noirs qui ne seront jamais tout à fait dévoilés.
Un art de la précision allié au trouble de la situation
“Claire me lança un regard qui, déjà, semblait demander de l’aide. Elle ne savait pas comment réagir. Moi-même, chaque fois que j’étais devant ma mère, je ressentais un mélange d’affaiblissement et de crispation.” Dans ce huis clos angoissant, le passé dresse des murailles entre les protagonistes, et Almendros nous laisse deviner les souvenirs terribles et les rancœurs tenaces qui les obsèdent, construisant avec minutie un roman qui tourne au thriller.
Qu’est-ce que le narrateur a vécu dans ce quart-monde rural d’où il s’est enfui ? Que se déroule-t-il encore aujourd’hui dans le silence lourd des fermes isolées ? Quel drame va être provoqué par le retour d’un ancien habitant devenu citadin ? Alors que le lecteur est assailli par une foule de questions disparates, Almendros tisse sa toile et construit un texte où chaque petit rien compte. On découvre souvent après coup l’importance de minuscules détails semés au fil des pages.
Cet art de la précision, allié au trouble de la situation et à un humour morbide, est ce qui séduit le plus chez Vincent Almendros, mais pas seulement. Dans cet enfer familial où on mange de la langue de bœuf au déjeuner, le romancier brasse des sujets assez profonds pour l’empêcher de tomber dans un pur et vain exercice de style. Sa description d’une ruralité à l’abandon est très juste, et le passage d’un milieu social à un autre, les difficultés qu’un tel arrachement suppose, prennent ici une coloration noire et presque désespérée. Sylvie Tanette
Faire mouche (Minuit), 128 p., 11,50 €, lire les premières pages
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