Parce que l’amour l’a quitté, Eels se gratte les croûtes et chante la fin du monde. Pas glop. Critique et écoute intégrale.
« Elevé à la rude école du malheur, il y remportait tous les prix”, écrivait Alphonse Allais, qui sans le savoir chroniquait déjà l’oeuvre du Californien Eels. On pensait l’exploration de ces crevasses, gerçures et croûtes réservée à une poignée d’albums : l’observation microscopique et minutieuse du désastre de sa propre détresse ne saurait être un job, une carrière à long terme.
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On se trompait : les poches de pus de ce garçon sont un puits sans fond, un gisement aussi riche que les exploitations pétrolières saoudiennes – sauf que ce qui en remonte est encore plus toxique, noir et visqueux. Depuis 1996 et son classique Beautiful Freak, c’est cette même pâte sombre et indocile que pétrit Eels, qui malaxe malade les grumeaux d’une vie pas tranquille : un ordinaire fait de morts violentes, de dépressions, d’abus. La suburbia, quoi.
Pas étonnant de l’entendre aujourd’hui chanter, avec des accents de Cormac McCarthy, la fin du monde : encore et toujours sa propre vie, projetée sans effets spéciaux, sans censure, sur l’écran de l’universel. Car si le monde est arrivé, selon Eels, à son générique de fin, c’est parce que l’amour l’a, une fois de plus, déserté – et que la demi-mesure ne fait plus partie de son vocabulaire. Ne surtout pas se laisser abuser par les premiers mots de cet album : “Tout était si beau et libre, au début…” L’imparfait est important : à partir de là, tout va mal, dans cette documentation sans pitié, résignée de la dégringolade.
Hébété par la chute, Eels ne trouve même plus une seconde pour son légendaire humour noir, l’autodérision à la Leonard Cohen. Si la plupart des chansons – à part quelques coups de rage traduits en rocks hirsutes – partagent le recueillement du Canadien (une guitare édentée, un orgue qui tousse), elles se privent cette fois-ci des cordes et arrangements excentriques qui, souvent jusqu’ici, maquillaient de sucre l’acidité des textes d’Eels.
Toujours freak, de moins en moins beautiful, mais toujours aussi fascinant. Ecouter, pour s’en convaincre, le sublime et accablant A Line in the Dirt. Qui d’autre qu’Eels oserait commencer un single ainsi : “Elle s’est à nouveau enfermée à clé dans la salle de bains/Je vais donc pisser dans le jardin” ?
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