Recyclage inspiré des figures du cinéma d’action asiatique, Kill Bill-volume 1 est un objet de notre temps. Rencontre avec Quentin Tarantino, Dj visuel et musical, cinéphile potache mais cinéaste attaché à donner, par la stylisation de la violence, une place centrale au corps humain, à contre-courant du tout-numérique.
A chaque nouvelle rencontre, Quentin Tarantino semble avoir pris quelques kilos. S’il continue à gonfler de la sorte, il aura bientôt la stature physique d’Orson Welles ou du Elvis terminal. Le jeune homme sanglé dans un costard noir de l’époque Reservoir Dogs est devenu un drôle de zèbre, boudiné dans un jogging pelucheux rouge vif et jaune canari. On ne sait si Tarantino a voulu porter là les couleurs de l’affiche de Kill Bill Volume 1 ou concurrencer la silhouette d’un joueur vétéran du RC Lens. D’un autre côté, cette absence de complexe vestimentaire, cette préférence du confort sur la coquetterie, ce je-m’en-foutisme de l’élégance font aussi plaisir à voir.
Si le corps de Tarantino enfle, si ses tenues ne s’améliorent pas, sa virtuosité de metteur en scène reste intacte et son agilité orale demeure plus affûtée que jamais. Assumant son état de cinéaste avant tout cinéphile, fan de films d’action asiatiques et de westerns spaghettis, signant pour la première fois un opus uniquement constitué de citations, de collages et de réassemblages de morceaux de cinéma aimés, QT fait uvre de ciné-mixeur avec une dextérité, une énergie, un plaisir contagieux et un talent qui laissent derrière toute la concurrence.
Quentin Tarantino est une graine des banlieues populaires américaines, un rejeton du cinéma bis, de la soul-music et de la junk culture, et Kill Bill est une manière d’aboutissement de cette formation autodidacte : un film qui fonctionne comme un single de rock’n’roll, sur l’immédiateté, le présent, la fulgurance, les emprunts aux aînés et la consommation dans l’instant. Avec Kill Bill, Tarantino fait du chambara (film de sabre japonais) comme les Rolling Stones faisaient du blues ou Eminem du hip-hop c’est-à-dire qu’il arrive parfois aux élèves d’égaler les maîtres, aux copies d’être plus excitantes que les originaux.
Chez Tarantino, le discours est à la hauteur de l’action. Une heure de conversation avec lui équivaut à deux heures avec un autre. Flow de mitraillette, phrasé en montagnes russes, modulant de la voix sur les mots-clés, joignant le geste à la parole, énonçant ses idées comme autant de coups de sabre, DJ QT nous a tout expliqué sur les tenants et aboutissants de Kill Bill, sur son rapport au cinéma et au recyclage, sur les femmes à l’écran et sur le lien fondamental entre l’épreuve des corps et le frisson érotique indispensable du spectacle cinématographique.
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ENTRETIEN > Après Jackie Brown, film flâneur, fondé sur des personnages forts, tu enchaînes avec un pur film d’action travaillant plus la surface que la profondeur.
Quentin Tarantino J’aime les contrastes, je ne tiens pas à faire deux fois la même chose. Certains critiques américains m’ont dit : « Ce film ne serait-il pas une régression, du point de vue de l’épaisseur des personnages ? » Comment ça, une régression ?! Eh, les mecs, je n’ai rien à vous prouver ! Avec Jackie Brown, j’ai démontré que j’étais capable de faire un film basé sur des personnages qui ont du vécu. Kill Bill, c’est un autre défi, je voulais prouver que j’étais capable de filmer de l’action pure et d’être bon, que je pouvais être un styliste visuel, et un bon.
Reservoir Dogs et Pulp Fiction étaient plutôt des films jouant avec la parole et les structures narratives. Kill Bill est en fait ton premier véritable film d’action.
Ma grande fierté avec Reservoir Dogs et Pulp Fiction, c’est qu’ils ont le parfum de films d’action alors qu’ils n’en sont pas. Les personnages y passent beaucoup plus de temps à parler qu’à courir ou combattre. Maintenant, on peut avancer l’hypothèse que mes dialogues ressemblent à des duels, qu’ils véhiculent l’énergie de scènes d’action ! Avec Kill Bill, je voulais vraiment me colleter avec l’action, avec les mouvements des corps. Mes cinéastes favoris sont des cinéastes de films d’action. Ce film, c’est ma chance de lancer mes gants sur le ring pour me mesurer aux géants du cinéma que j’aime. Je ne prétends pas que je les ai égalés, mais j’ai essayé. J’ai tenté d’atteindre le niveau des meilleures scènes d’action, et avant, j’avais vu les meilleurs films d’action, alors je suis bien placé pour voir la différence et rester modeste !
Kill Bill est aussi plus un film de citations que les précédents, qui étaient plutôt « inspirés de… »
Il y a le monde de Quentin et le « monde du cinéma ». Prend Reservoir Dogs, Pulp Fiction, le scénario de True Romance, ils comportent le plaisir du cinéma, mais ces films tentent d’être plus réalistes que la vie réelle. C’est-à-dire que je m’inspire des genres du cinéma, que j’offre tous les plaisirs, tous les codes du cinéma de genre, mais… j’injecte de la vraie vie. Et la vraie vie ne va pas naturellement avec les genres… Elle fout même en l’air les règles des genres ! Ce mélange entre genres et réalité prosaïque, c’est le monde de Quentin. Ensuite, Jackie Brown, c’était encore autre chose, le monde d’Elmore Leonard (auteur de Rum Punch, dont était inspiré le film ndlr). Maintenant, prenons le monde du cinéma. Tueurs-nés s’y déroulait je ne parle pas là de la daube qu’est devenu le film, mais du scénario que j’ai écrit. Je m’étais donc déjà aventuré dans le monde du cinéma mais Kill Bill est ma première réalisation dans cet univers-là.
Comment définis-tu les films du « monde du cinéma » ?
Ils ne sont pas fondés sur la vraie vie mais uniquement sur des images de cinéma. Ça peut faire écho à la vraie vie, mais ça ne fonctionne que sur des codes et des principes de cinéma. C’est un monde qui n’existe que sur un écran, qui n’obéit pas aux règles d’ici-bas, mais à celles du cinéma. Prenons les personnages des films du monde de Quentin, Clarence de True Romance, Jules de Pulp Fiction, ou Mister Blonde de Reservoir Dogs, si ces gens-là allaient au cinéma, ils iraient voir Kill Bill. Ils iraient voir des films de pure action, de pur imaginaire, de pur cinéma.
Prenons les scènes de Kill Bill où on tranche des membres humains et où jaillissent des geysers de sang. Cela se passe uniquement au cinéma, dans les films d’action japonais ou chinois ! Si dans la vraie vie on coupait le bras de quelqu’un, le sang ne s’écoulerait pas de la plaie comme d’un tuyau d’arrosage ! Quand on me dit que Kill Bill est mon film le plus violent, je dis non ! Mon film le plus violent est Reservoir Dogs. Dans Kill Bill, la violence est opératique, surréaliste, exagérée, stylisée, outrageante, tout ce qu’on veut, mais elle n’a rien à voir avec la réalité. C’est de la danse, de la chorégraphie, de la peinture ! La couleur rouge n’est pas du sang, c’est de la couleur rouge !
Kill Bill est fait d’un ensemble de citations de films que tu aimes. Peut-on dire que tu fais plus uvre de DJ, de mixeur, que de cinéaste au sens classique ?
Absolument ! L’esthétique des DJ hip-hop et des producteurs de rap me bottait depuis longtemps et je recherchais un équivalent au cinéma. Il s’agit de prendre les genres ou sous-genres existants et de les mélanger. Et je n’ai aucun problème avec ça, je ne crains pas d’être taxé de voleur, parce que c’est moi qui réalise chaque photogramme de mes films. Le plaisir de faire Kill Bill, c’était de prendre ce large éventail d’influences et de les assembler.
Pour revenir à l’esthétique DJ, c’est grâce à elle que mes films sont appréciés par le public noir en Amérique. Ils pigent instinctivement les liens entre mes films et l’esthétique hip-hop. J’ai grandi comme spectateur de cinéma dans les seventies, dans le dernier bastion américain du cinéma bis, et avec Kill Bill j’ai essayé d’entasser toutes ces influences en une seule histoire. Kill Bill est une histoire de vengeance. Les trois quarts des films kung-fu de la Shaw Brothers étaient des films de vengeance ! Les trois quarts des westerns spaghettis étaient des films de vengeance ! Pareil avec les films de samouraïs, pareil avec la japanimation… Du coup, j’ai tout mixé : un peu de giallo, un soupçon de chambara, une touche de western spaghetti, une cuiller de wu-xia-pan (film de sabre chinois ndlr), etc.
Pour un spectateur français, Kill Bill fait aussi penser au Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas ou à La mariée était en noir de François Truffaut.
Deux grandes histoires de vengeance. C’est marrant parce que je n’avais jamais vu La mariée était en noir, mais je sais que c’est le même genre d’histoire que Kill Bill. Je suis aussi très fan de Cornell Woolrich (auteur du livre La mariée était en noir ndlr) mais je ne l’avais pas lu . J’accepte la comparaison avec Truffaut, mais ce n’est pas là que j’ai piqué ! La Cinémathèque devrait organiser un double programme avec La mariée… et Kill Bill !
A ton avis, Kill Bill sera-t-il vu différemment par les spécialistes de cinéma de genre et par les spectateurs « ordinaires » ?
Ce seront deux expériences de spectateur différentes. En voyant Kill Bill, les fans du genre auront surtout un plaisir de reconnaissance, en repérant telle scène référencée à tel film, etc. Ils vont prendre leur pied de la même façon que je prendrais mon pied si je voyais un Kill Bill fait par un autre. Mais on peut supposer que le spectateur qui n’a jamais vu un film de Chang Cheh ou de Sergio Leone va prendre un plaisir encore plus grand, parce que tout sera neuf à ses yeux. Au lieu de dire : « Oh, Bruce Lee, ah, John Woo », il va dire : « Waaaoooow ! » Le pied pour moi, c’est que si ces nouveaux spectateurs ont aimé Kill Bill, ils vont avoir envie de découvrir les films qui m’ont influencé. « Tiens, et si j’allais voir un Chang Cheh, et si j’essayais les productions de la Shaw Brothers, et si je tentais un Fukasaku ?… »
Comment as-tu approché la mise en scène de tes premières grandes scènes d’action ?
C’était du stress, de la difficulté, mais c’était aussi comme si j’étais un alpiniste qui tente l’Everest. Je suis d’ailleurs toujours en train de grimper puisque je dois terminer le montage du Volume 2. Beaucoup de films d’action se font avec des secondes équipes ; tu rencontres le type qui « signe » un James Bond, tu peux lui dire que tu as beaucoup aimé sa séquence d’introduction parce que souvent c’est la seule chose qu’il a faite ! Avec moi, pas question de seconde équipe. Je filme chaque photogramme ! C’est moi qui dis « Action ! » ou « Coupez ! » Faire un film d’action et laisser une seconde équipe tourner les scènes d’action, c’est comme baiser pendant des heures et laisser une autre personne avoir l’orgasme.
Les combats, je les visualise avant dans ma tête. Ce n’est pas moi qui ai réglé les chorégraphies mais Yuen Wo-ping (chorégraphe d’arts martiaux chinois, appelé à Hollywood pour Matrix ndlr). Il est magnifique, c’est le plus grand metteur en scène et chorégraphe de kung-fu au monde. Mais 75 % de ce que l’on voit sur l’écran était déjà décrit sur le papier. Si je n’avais pas eu une idée claire de ce que je voulais, Wo-ping et son équipe auraient pris le relais et fait leur film à eux. La première fois que nous avons rencontré Wo-ping, je lui ai parlé du film pendant huit heures, en lui mimant tous les gestes et les mouvements des combats que j’envisageais. Ensuite, pendant plusieurs mois, nous avons entraîné les filles (Uma et les autres), et j’ai participé activement à cet entraînement. Ensuite, j’ai esquissé un story-board.
Tourner en Chine avec une équipe chinoise t’a-t-il aidé ?
Je voulais tourner à la chinoise. En Amérique, la base d’un tournage est l’emploi du temps. L’emploi du temps, les délais, c’est Dieu. En Chine, les coûts sont nettement moindres, donc on se fout de l’emploi du temps. Quand on regarde un film d’action hong-kongais, impossible que tout soit préécrit, prévu, préconçu ! Pour tourner de pareilles scènes, une part doit être vécue et pensée au moment du tournage. Moi, ça me va parfaitement, je suis à fond pour prendre des décisions au moment où on tourne, pour filmer selon l’inspiration du moment.
En Amérique, tout est organisé pour gérer les coûts. Par exemple, on tourne d’abord tout ce qui est dans le champ, puis ensuite tout ce qui est dans le contre-champ. Dans une scène de combat hong-kongaise, impossible de procéder ainsi, impossible de se souvenir de tous les mouvements et d’être raccord entre champ et contre-champ ! Alors on prend un combat, et on le partage en différents segments qui doivent ensuite s’enchaîner. Mais chaque segment est tourné d’une traite… (Tarantino joint le geste à la parole, il se lève et mime pendant un quart d’heure la façon dont il a tourné les scènes de combat)… On progresse ainsi, segment par segment, et ça permet de garder une fluidité organique pour la totalité du combat.
La plupart des personnages dont l’héroïne sont féminins, ce qui est inhabituel dans les films d’action occidentaux.
Au départ, j’ai conçu ce film et le personnage principal en pensant à Uma Thurman, je me disais qu’elle serait géniale dans un tel contexte. Par ailleurs, j’ai toujours aimé les films de femmes qui se vengent, ils ont une petite épice supplémentaire. J’ai jeté un œil sur le programme de la Cinémathèque française, ils ont prévu une double séance « femmes vengeresses » fin décembre, j’ai trouvé ça très cool. La femme guerrière est une figure classique dans le cinéma d’action asiatique. C’est une tradition là-bas, ça remonte même à la littérature chinoise ancienne.
Ces héroïnes ne sont pas faites pour qu’on les aime, mais pour qu’on les respecte ! On admire leur courage, leur ténacité, mais on n’aimerait pas forcément vivre avec elles ou les avoir comme voisines ! Il y a aussi un aspect tragique dans le parcours de ces héroïnes, c’est souvent une tragédie originelle qui a fait d’elles ce qu’elles sont devenues. Dans Kill Bill, ce n’est pas un homme qui se venge, c’est une femme, et c’est surtout une mère ! Ça change tout. Il y a un chagrin très profond à l’origine de toute cette violence.
Ce serait pousser le bouchon de dire que Kill Bill est un film d’action féministe ?
Pas du tout, je le revendique. J’ai visionné un paquet de films de kung-fu en écrivant Kill Bill, souvent avec des copines. A priori, elles pensaient que c’était un truc de mecs. Et là, je leur montre des films avec Angela Mao, Sushi Yome, grande star au Japon, ou encore des films de la série Scorpion, de la série Lady Snowblood, ou les Michelle Yeoh. Tout d’un coup, leur opinion change radicalement. Ces femmes, ces héroïnes, ces actrices sont des stars, elles mènent le truc, elles dégagent, elles sont fumantes ! Mes copines se disaient : « Putain, ces films, c’est la prise de pouvoir des femmes ! Ces nanas sont géniales ! » Et ça les a galvanisées. « Merde, j’aurais aimé voir ces films quand j’étais gamine, j’aurais foutu un poster d’Angela Mao dans ma piaule ! » J’imagine bien des adolescentes aller voir Kill Bill et punaiser des posters d’Uma Thurman au-dessus de leur lit.
Le film de sabre sécrète un fort pouvoir érotique. Le sexe n’y est pas littéral mais symbolique, à travers les lames et les plaies.
Cet érotisme est quasiment littéral dans la scène avec Gogo Yubari (interprétée par Chiaki Kuriyama ndlr), quand elle zigouille le mec dans le bar. Elle lui demande s’il désire la pénétrer, puis lui enfonce son sabre dans les tripes. Les épées, les lames, le sang, tout cela procure des frissons cinématographiques à fort pouvoir érotique. Depuis quelques années règne un grand rejet de la violence au cinéma, alors qu’une des clés du plaisir est le risque, le danger.
On a eu droit à tous ces films d’action dépourvus de sang, tous ces machins à la Star Wars qui se terminent par des batailles géantes où l’on se demande qui combat qui. Souvent, il s’agit d’humains combattant des robots, comme ça il n’y a aucun enjeu, on peut tuer tous les robots, personne ne meurt, on ne risque rien et on ne voit pas couler la moindre goutte de sang. Le corps humain n’est pas en jeu, on ne détruit que des machines. Prenons les Matrix. J’ai adoré le premier. Mais, avec le deux et le trois, on aboutit à des combats entre pièces informatiques. Tout devient virtuel, le corps humain est évacué, des machines se battent avec des machines. Dans Pirates des Caraïbes, les humains se battent avec des squelettes. Dans Le Seigneur des anneaux, on nous prépare à une grande bataille et, finalement, les humains se battent avec des squelettes déguisés. Où sont les vraies batailles, où est l’odeur du combat, où est le risque physique, où est l’épreuve du corps humain ?!
J’en ai marre de ce puritanisme, de cette censure masquée. Kill Bill, c’est le retour du corps humain, du sang, de l’organique dans le cinéma d’action. Car je suis convaincu qu’avec tous ces films stérilisés, virtualisés, où les humeurs humaines sont évacuées, les gens sont frustrés sexuellement, on les arnaque sur le plan du frisson érotique. On les prive de l’excitation de voir un bras se faire trancher, wooooouuuum ! et un jet de sang en jaillir, pssshhhhiiiittttt ! Dans Kill Bill, les combats ont un coût, le corps humain est à l’épreuve. Voir un robot démembré, c’est une chose. Voir Uma Thurman combattre les Crazy 88, puis dominer un champ de bataille sanglant, où les blessés souffrent, comme dans la grande scène d‘Autant en emporte le vent, c’est autre chose.
Ce lien entre la violence cinématographique et le souffle érotique fait penser à la phrase de Truffaut qui disait qu’Hitchcock filmait les scènes d’amour comme des scènes de meurtre et vice versa.
Je suis totalement d’accord. Et ce lien ne va faire qu’augmenter dans le Volume 2, quand on va s’approcher plus près de l’histoire d’amour tragique entre Bill et la mariée. Dans Volume 1, on ne sait pas exactement ce qui s’est passé entre eux, mais on peut le deviner, ou du moins émettre des hypothèses.
Les personnages de Kill Bill sont des silhouettes, des figures de BD. Sauf la mariée, alias Black Mamba, alias Uma Thurman, qui possède une véritable épaisseur.
C’est la première fois que j’écris un film dans lequel un seul personnage est dominant. Reservoir Dogs et Pulp Fiction sont sur des groupes, des ensembles… Même Jackie Brown n’est pas focalisé sur Pam Grier, mais aussi sur Sam Jackson, Robert Foster, Bridget Fonda, etc. Là, c’est vraiment centré sur le personnage d’Uma. C’est important, parce que c’est un film sur le « monde du cinéma », mais Uma l’enracine, lui met les pieds sur terre, le rattache à des émotions profondes. Le fil rouge, c’est sa douleur, son chagrin inextinguible… Et comme Uma assure l’aspect humain, réel, tangible, je peux me permettre de faire le trapèze volant avec le reste du film. Je peux tout exagérer, styliser, tendre à fond vers l’abstraction cinématographique parce que, grâce à elle, je sais que le film a toujours un c’ur humain qui bat. Uma était enceinte avant le tournage. Pendant le tournage, elle était connectée à son être-mère, et c’était essentiel pour le film.
Le cinéma a beaucoup changé depuis que tu t’es formé comme spectateur ou depuis que tu as débuté avec Reservoir Dogs. Que penses-tu des évolutions récentes, du mainstream hollywoodien actuel ?
Je suis un amoureux des films, j’aime le cinéma à la folie. Pour le moment, je n’ai aucune envie de faire du cinéma digital ou de la vidéo. J’essaierai peut-être un jour, parce que c’est un outil plus pratique. Mais moi, je ne vis et pense que par le cinéma. On a un peu utilisé la technologie digitale dans la post-production de Kill Bill, parce qu’on ne peut pas ignorer certains aspects pratiques de cette technologie, notamment dans le secteur de la post-prod.
Nous avons donc travaillé avec des copies digitales, qui coûtent moins qu’une vraie copie et qui sont toujours « tout nouveau tout beau ». Mais j’ai détesté ces copies digitales ! Je me souviens avoir dit à mon chef-op : « La technologie digitale me fait l’effet d’être marié avec une femme que je n’aime pas et que je ne respecte pas parce qu’elle n’est que belle. Je suis coincé avec elle et je n’ai qu’une solution, lui montrer mon mépris ! » (rires)… Si le cinéma n’est plus que virtuel et ne montre plus les corps humains, à quoi sert-il ?
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