Dans Piégée de Steven Soderbergh, Gina Carano botte le cul des meilleurs acteurs d’Hollywood. Dans la vie, c’est la plus douce des lutteuses.
Sa force, on la ressent dans son poignet, lorsqu’on lui serre la main, mais nulle part ailleurs. On s’attendait à une femme body-buildée aux arguments qui cognent, il n’en sera rien. La voici devant un café au lait, sourire timide, les mains sur les genoux, muée en jeune Sandra Bullock, la toxine botulique en moins, s’excusant pour son manque de préparation à l’exercice promotionnel. « C’est seulement ma troisième interview. J’en ai donné une à Los Angeles et une deuxième hier, où les journalistes posaient leurs questions en même temps. Personne ne m’a coachée. Je me suis dit qu’il fallait juste être honnête », explique Gina Carano.
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A 29 ans, l’ancienne adepte de mixed martial arts – discipline à mi-chemin entre la boxe et la lutte au corps à corps où presque tous les coups sont permis – est devenue une improbable star de cinéma en jouant dans Piégée. Elle vient de perdre le combat de sa vie contre sa rivale, Cristiane « Cyborg » Santos, quand Steven Soderbergh la repère à la télé. Le réalisateur cherche une actrice pour un projet de film d’action réaliste, aux antipodes des aventures en short d’Angelina Jolie. Il tombe sous son charme et lui propose d’endosser le rôle de Mallory Kane, agent d’élite trahi par tous ses collègues.
« Quand Soderbergh m’a appelée, je ne savais même pas qui il était. Je ne suis pas une de ces personnes qui restent dans la salle jusqu’au générique de fin », dit-elle.
« Je n’ai fait mal à personne »
« Steven Soderbergh lui demande de « botter le cul des meilleurs acteurs d’Hollywood ». En l’occurrence, ceux de Michael Douglas, Ewan McGregor, Antonio Banderas, Channing Tatum et Michael Fassbender, avec lesquels elle partage des scènes de bagarre d’une rare violence. « Mais je n’ai fait mal à personne, jure-t-elle. En fait, je suis la seule qui s’est cassée quelque chose : le petit doigt. Bien entendu, il y a eu des plaies et des contusions. Mais j’adore les bleus. Sinon, il vaut mieux choisir un autre métier. » Elle n’a que des mots doux pour ses partenaires : « Au combat, Channing est très fort, Fassbender très rusé et Ewan très technique. S’ils pouvaient fusionner, ils deviendraient le meilleur lutteur du monde. »
Sa diplomatie, limite langue de bois, expliquerait qu’elle n’ait pas eu besoin d’accompagnement dans ses premiers pas hollywoodiens. Ou serait-ce une pudeur presque évangélique ? Née au Texas, fille d’un ancien quarterback des Dallas Cowboys, Gina Carano a grandi dans un milieu très conservateur où Halloween était interdit. Le genre de famille qui quitte scandalisée une salle de cinéma pendant la projection de Forrest Gump « en raison du langage indécent ».
Aujourd’hui, elle se dit toujours croyante, Dieu et la lutte l’ayant aidée à « se maintenir concentrée dans la vie ». Elle a étudié la psychologie à Las Vegas, sans obtenir son diplôme. « Peu importe, ça m’a été très utile, notamment sur ma concentration. Je suis fascinée par la puissance de l’esprit. J’ai gagné pas mal de luttes parce que j’étais plus forte mentalement que mes adversaires », assure-t-elle.
A 20 ans, elle a quinze kilos de trop et drague dans les boîtes de nuit du Nevada. Un jour, son boyfriend lui balance qu’elle est trop grosse. « Il avait raison. » Elle décide que l’heure de la remise en forme est arrivée, adhérant au refrain hollywoodien de la rédemption par le sport.
« J’ai tout de suite aimé la discipline de la lutte. J’ai aimé que ça me fasse peur et aussi le côté direct : la lutte est une bataille frontale où l’on ne poignarde pas l’autre dans le dos. »
Charges de la presse américaine
Gina aime la plage, le vin, les vêtements en cuir et « le fait d’être femme ». Féministe, comme pourrait le paraître son personnage Mallory ? « Non, ce n’est pas ça, balaie-t-elle, comme si le mot lui faisait peur. Mais j’aimerais bien développer un cinéma d’action différent, où la femme pourrait être aussi dure que tendre et délicate. » Devenue rêve humide de tout nerd qui se respecte, elle a cependant dû faire face aux charges de la presse américaine qui a estimé qu’elle avait le charisme d’Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. « Son éventail d’expressions va du regard menaçant à la bouderie », a ironisé The New York Times. Soderbergh a reconnu avoir eu recours à des effets spéciaux pour moduler sa voix pendant le montage. Cela ne la gêne pas. « Il aurait pu me filer la voix de Bill Clinton, je serais toujours aussi fière », assure-t-elle.
Pourtant, elle a hésité avant d’accepter le rôle. « A l’époque, je sortais avec quelqu’un qui ne voulait pas que je tourne ce film, sûrement parce qu’il était jaloux. Je l’ai quitté », avoue-t-elle dans un moment d’intimité inattendu. Cet ex, le lutteur Kit Cope, l’a menacée de diffuser une sex tape et a juré avoir « baisé des filles beaucoup plus canon » avant de présenter ses excuses.
« J’ai pas mal de problèmes pour sortir avec des hommes. D’abord, il faut qu’ils acceptent mon métier. Et plus j’ai du succès, plus il devient difficile pour eux de se sentir valorisés », reconnaît-elle avec un regard désarmant.
Alors qu’on s’apprêtait déjà à lui raconter nos malheurs, son assistant entre dans la chambre pour siffler la fin de ce combat qui n’en fut pas un. « Merci pour votre gentillesse », dit-elle avant de s’éclipser. Quelques semaines plus tard, on découvre sur son compte Twitter une citation de l’écrivain Eric Hoffer, chroniqueur de la classe populaire américaine : « L’impolitesse est une pâle imitation de la force. » Les réseaux sociaux sont le miroir de l’âme.
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