Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec le cliché du mannequin-potiche. Cette année, la parole des femmes s’est libérée, les podiums ont vu la diversité gagner du terrain, un bon coup de gueule a été poussé contre les conditions de casting déplorables. Voici les 5 mannequins qui ont fait entendre leur voix dans une contexte mode complètement bouleversé.
Quaher Harhash : « Je veux utiliser le podium pour partager un message politique »
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https://www.instagram.com/p/BWwuUJJAH_g/?hl=en&taken-by=qaherharhash
La scène mode n’est pas connue pour son amour de la diversité, et quand on en vient aux mannequins arabes, la difficulté pour eux de trouver une place se renforce encore. Palestinien, le modèle Quaher Harhash se bat pour sa carrière mais aussi les jeunes de Palestine, qui veulent pouvoir sortir du conflit pour s’accomplir, ne plus être définis par leur origine mais pas leur personnalité. Longiligne, au visage à la fois fin et marqué, le mannequin n’est pas qu’une belle gueule de l’industrie : en 2015, il perce en tant que premier mannequin palestinien à signer un contrat dans une agence israélienne. Il shoote bon nombre de campagnes, malgré quelques revers : dans une interview à France Info il confie que certains de ses shootings sont annulés à cause des conflits dans son pays. Patient, il comprend le choix de marques – “c’est intelligent de leur part...” –, mais regrette qu’il ne puisse travailler comme il l’entend à cause de sa nationalité.
Son rêve alors, en 2015, est de s’ouvrir à l’international, et de compter sur la scène médiatique pour porter un message : “je veux arriver à un moment où être palestinien est quelque chose de normal et pas politique”. En 2017, c’est chose accomplie : désormais installé à Francfort, il continue le mannequinat tout en plaidant sa cause. Il disait à i-D cette année : “Je veux utiliser le podium pour partager un message politique. Le conflit israélo-palestinien est un sujet complexe, j’en suis bien conscient. Mais, en tant que mannequin, je veux que l’on puisse voir en moi un aspect positif de l’identité palestinienne. J’ai rencontré des gens à Tel Aviv, qui m’ont écouté et changé d’avis. Le pouvoir est dans le dialogue.”
Cameron Russell : « On me répondait : ‘ça te surprend ?’ ou encore ‘ça fait partie du job’. »
Le mois d’octobre 2017 a été marqué par les révélations sur les agissements du producteur hollywoodien Harvey Weinstein : la parole des femmes a soudain pris une ampleur jamais vue, à tous les niveaux de la société. L’industrie de la mode, au même moment, trouvait la force elle aussi de prendre la parole contre le harcèlement sexuel. Cameron Russell, mannequin diplômée en politique de Columbia University et oratrice d’un des TED Talks les plus écoutés au monde (“L’apparence ne compte pas. Croyez moi, je suis mannequin”) s’est saisie d’Instagram pour en découdre avec ce problème généralisé dans la mode.
Ainsi, elle a ouvert son compte et recueilli des centaines de témoignages de mannequins, d’assistant photographe de tous les sexes. Sous la bannière du hashtag #MyJobShouldNotIncludeAbuse (en vf, “mon job ne devrait pas comprendre de matraitance”), elle a diffusé les messages à l’aide de ces anonymes, victimes d’agissements anormaux qui s’étaient culpabilisées ou tues de peur que leur carrière soit coupée court si elles parlaient. Cameron Russell explique, sur son compte, sa propre expérience : “Quand (ces comportements) sont la norme, en parler revient à devenir un élément perturbateur, à manquer de professionnalisme. Parce que j’ai dénoncé les abus de certain, on m’a traité de féministe, (…) et l’on me répondait : ‘ça te surprend ?’ ou encore ‘ça fait partie du job’.” Suite à ce mouvement de fond, l’industrie a agi : Terry Richardson, photographe connu pour les dizaines d’allégations à son encontre, a été banni des collaborateurs de Condé Nast, groupe qui détient Vogue, Glamour, GQ… et des nouvelles lois ont été mises en place pour les mannequins à New York. Si, comme pour Hollywood, rien n’est encore totalement résolu, la prise de parole et de conscience a bien été efficiente aux oreilles du public et du monde de la mode.
Andreja Pejic : « Je sais bien que cela prendra du temps, de prouver que je suis un mannequin doué »
Andreja Pejic est née en ex-Yougoslavie, un pays que sa famille a fui sous l’impulsion de sa mère alors qu’elle avait 9 ans pour s’installer en Australie, suite aux attaques de l’OTAN sur la région. Elle est repérée à 17 ans – alors qu’elle travaillait à McDonald’s, selon la légende – et commence sa carrière en tant que “mannequin androgyne” : elle défile pour les collections hommes et femmes confondues et pose en couverture du magazine Dossier en 2011. Andreja fait scandale, avec son carré blond et bouclé couplé à son torse – encore masculin – à la minceur délicate et peau d’albâtre : les censeurs pensent que des jeunes pourraient confondre ses pectoraux avec des seins de femme, ils recouvrent l’image d’un film noir. La même année, le magazine FHM nommait Andreija Pejic parmi les 100 plus belles femmes du monde. C’est en 2014 que le mannequin se déclare officiellement transgenre, et s’adonne au mannequinat exclusivement féminin : l’année suivante, elle devient la première femme transgenre dans les pages du magazine Vogue. Suivront les covers des magazines Elle, Marie Claire, Harper’s Bazaar, L’Officiel…
2017 marque à nouveau une grande première historique réalisée par Andreija Pejic. En mars, elle fait la couverture du magazine GQ, mensuel masculin, aux Etats-Unis, une première pour une femme transgenre. Elle signe également avec l’agence Ford Models, qui n’avais jusqu’ici jamais eu de contrat avec une femme transgenre. Dans des propos rapportés par le site de Out, Pejic déclare : “Je sais bien que cela prendra du temps, de prouver que je suis un mannequin doué et pas juste une coqueluche médiatique et un visage aux traits peu communs. Mais, hé, je ne suis pas la première qui a eu à se battre !”. Une bataille qu’elle mène désormais avec une des plus grandes agences de mannequins au monde.
Ashley Graham : « Ne pas voir de femmes noires ou latino aussi connues que moi dans la mode me rend folle ! »
Ashley Graham est elle aussi une pionnière : ses courbes affolent les foules – dans tous les sens du terme – et cette année semble bien marquer un tournant dans la carrière de la jeune femme de 29 ans. Elle finissait 2016 avec la sortie d’une Barbie à son effigie, et sa silhouette bientôt iconique n’avait pas fini de prendre le haut de l’affiche dans les mois à suivre. En janvier 2017, Ashley Graham devient la première mannequin curvy à faire la couverture du Vogue américain, puis, en novembre, elle fait son entrée au top 10 des mannequins les mieux payées du monde selon Forbes, la seule plus-size a jamais l’avoir intégré. Son militantisme prend sa source dans l’amour de soi et de son corps : la jeune femme a connu les revers qu’imposent ses formes, des petits-amis cruels aux trolls des réseaux sociaux, mais se trouve plus épanouie que jamais à l’aube de ses 30 ans, alors que décolle sa carrière et commence à s’imposer l’idée qu’un corps plein est un corps aussi esthétique que ceux usuellement plébiscités dans l’industrie de la mode.
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Lucide, Ashley Graham n’est pas non plus dupe : dans un portrait que lui a dédié le New York Magazine, elle s’exprime sur les raisons de son succès avec une clairvoyance remarquable : “Je sais bien que je suis sur ce piédestal grâce au “privilège blanc”. Ne pas voir de femmes noires ou latino aussi connues que moi dans la mode me rend folle ! J’ai besoin d’en parler. (…) J’ai une place de choix désormais, une place que les mannequins comme moi n’ont jamais eu avant, mais je ne veux pas être la seule à y siéger.” Militante pour les courbes sur les podiums, Ashley Graham a également épinglé Victoria’s Secret pour son show 100% taille 36 et moins en postant un montage d’elle en lingerie avec les fameuses ailes des anges Victoria’s Secret – et c’est bien l’une des rares fois où le mannequin aura eu recours à Photoshop.
Adwoa Aboah : « Un espace de parole. C’est ce qui m’a manqué pendant mon adolescence.”
https://www.instagram.com/p/BcDU40uhtgt/?hl=en&taken-by=adwoaaboah
Adwoa Aboah a tout d’une grande avec ses traits fins et métissés, ses taches de rousseur et son crâne presque rasé. Alors même que la mode appelle à plus de diversité dans sur les podiums et dans les publications dédiées, Adwoa est le visage d’un renouveau : son grand ami Edward Enninful l’a d’ailleurs fait poser en couverture du premier numéro de Vogue UK qu’il dirige en tant que rédacteur en chef. Elle est ainsi l’allégorie même du changement que représente la nomination d’Edward Enninful, un homme noir et gay, en tant que rédacteur en chef du magazine britannique.
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Mais Adwoa Aboah n’est pas qu’un physique. En effet, la jeune femme commence dans la vie sur les chemins houleux des drogues, malgré une naissance dans les quartiers huppés de Londres. Ainsi, à sa sortie de cure de désintoxication, Adwoa créé Gurls Talk, une plateforme d’échange pour les femmes. Dans ce “safe space”, les participantes se questionnent sur la place des femmes dans la société, le féminisme, les maladies psychiques telles que la dépression et les addictions. Pour répondre à la demande croissante des femmes de pouvoir s’exprimer sur les sujets qui les concernent, sur leurs doutes, leurs peurs, leurs affections, Adwoa Aboah parcoure le monde pour ouvrir le maximum de talks possible et engendrer via celle plateforme davantage de dialogue entre les femmes et sur les femmes, pour les libérer et les apaiser. Sans enjoindre à la positivité absolue (“Je suis née triste”, confie-t-elle dans un de ses talks), le mannequin représente la nouvelle génération et s’attaque à ses complexes moraux et physiques avec une franchise et une détermination entières.
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