La Nouvelle Revue Française fête son centenaire, et entend poursuivre le combat pour la littérature qu’elle marque de ses trois lettres.
Ils étaient six autour d’une table : Marcel Drouin, André Ruyters, Henri Ghéon, Jean Schlumberger, Jacques Copeau et André Gide. Nous sommes à la Belle Epoque. Ces hommes ont déjà collaboré à d’autres revues, comme l’Ermitage qui accueille les œuvres critiques et littéraires du jeune Gide et des ses amis. Tous veulent plus. De toute façon, l’Ermitage fait faillite, alors « pourquoi ne pas créer sa propre revue ? ». Le groupe de six se lance en 1908 et après un premier ratage le numéro 1 de la NRF, « revue mensuelle d’art et de critique », paraît enfin en 1909.
« Sans prévention d’école, ni de parti ». Les goûts personnels d’abord et surtout cette volonté d’être autonome envers et contre tout. Jacques Rivière, qui prend la direction de la NRF en 1919, suivi de Gaston Gallimard en 1925, dira que la revue doit être « un lieu d’asile, imprenable, ménager pour le seul talent, le seul génie, s’il veut bien se montrer ».
Du génie, il y en aura : c’est dans la revue que paraissent les premières feuilles de Claudel, Valéry et Proust, puis aussi dans les éditons de la NRF, crées en 1911, (qui deviendront ensuite les éditions Gallimard) que paraîtront les premiers romans de ses auteurs.
« Une littérature dégagée ». Les éditions de la NRF ouvrent leurs portes au théâtre, à la poésie et à la critique contemporaine. François Mauriac analyse la nouvelle démarche de Proust dans La Prisonnière, Malraux y dissèque l’érotisme de L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence, avant d’être lui-même ses Conquérants critiqués par…Trotski. C’est que la NRF défend une littérature dégagée : elle accueille des grands noms comme des inclassables (Audiberti, Cingria), des surréalistes mais aussi des jeunes auteurs américains et britanniques (Faulkner, Joyce), un antifasciste (Malraux) comme un antisémite (Jouhandeau), un intellectuel juif (Benda) comme un catholique (Mauriac).
La longévité et le succès commercial de la revue, vendue à près de 12000 exemplaires dans les années 30 ne doit pas cacher la sale époque de l’Occupation, pendant laquelle la revue a du être placée sous la direction de Drieu La Rochelle pour continuer à paraître. Sous la direction Jean Paulhan et Marcel Arland, le redémarrage en 1953 n’en sera que plus fort avec en couverture Malraux, Supervielle, André Pieyre de Mandiargues, et 25 000 abonnés.
Encore aujourd’hui, la revue fait figure d’exception culturelle dans son propre pays. Sobre, sans image sur sa couverture, démentant toute mort prématurée et évidente du papier, la NRF sort en février son 588e numéro- c’est qu’elle est devenue trimestrielle, par souci économique, on ne va pas s’en cacher, depuis 1999. Plus livre que magazine, la revue du 5 rue Sébastien-Bottin continue à se vendre. Bien sûr, elle a un peu perdu dans les années 70 en ratant le coche du renouveau des sciences humaines et encore aujourd’hui elle reste un brin anachronique. Son directeur, Antoine Gallimard, a même confié sur Bibliobs.fr qu’« un exemple de la revue moderne aujourd’hui, ce serait plutôt XXI ». Et quant à savoir si la revue se porte bien, on retiendra ces propos tenus par son actuel rédacteur en chef Michel Braudeau dans Le Magazine Littéraire de ce mois-ci : « Peut-être en reparlons-nous dans cent ans. »
Gladys Marivat
A l’occasion du centenaire
Une histoire de la NRF, par Alban Cerisier, Gallimard, 600 p., 25 euros.
«La NRF», n° 588, 400 p., 19,50 euros
En toutes lettres. Cent ans de littérature à la NRF, Gallimard, 112 p., 32 euros.
L’œil de la NRF, Cent livres pour un siècle, Folio, 344 pages, 7 euros.
www.centenaire-nrf.fr