Tandis que le gouvernement lui fait la sourde oreille, l’université française gronde. Mobilisée dans toutes ces strates, elle multiplie les modes d’action originaux, tels qu’une lecture marathon de La Princesse de Clèves, avec Louis Garrel en guest. Reportage.
Nicolas Sarkozy entretient une vieille rancune vis-à-vis de La Princesse de Clèves. Déjà du temps où il n’était qu’un ministre au langage fleuri de « racailles » et de « karchers », il lui était arrivé d’évoquer combien il a « souffert » au cours de ses études de la lecture du roman de Madame de La Fayette, et avait même poussé l’acharnement un soir de campagne présidentielle jusqu’à tenir ce discours guère reluisant : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! » Effectivement, on s’amuse comme on peut lorsque l’on est à la tête de l’UMP. Quelques mois plus tard, élu président mais manifestement guère plus au fait de ce à quoi peut bien servir le premier roman moderne français, il enfonçait le clou (voir la vidéo ci-dessus).
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Depuis, ces paroles aigres auront eu le mérite de dicter en guise de réaction un remarquable film à Christophe Honoré (La Belle Personne, avec Léa Seydoux et Louis Garrel), et n’ont pas cessé d’être érigées en emblème par les détracteurs d’une inculture que le président cancre français porte avec goguenardise. Et, devenue notoire, pour partie grâce à Honoré, cette aversion a fait florès, notamment au sein de la contestation qui s’élève depuis plusieurs semaines au sein de l’Université française. A mesure que président et gouvernement y font arrogamment la sourde oreille, ceux-ci ont réussi l’exploit de fédérer contre eux tout à la fois présidents de facs, enseignants, chercheurs et étudiants en un même mouvement de protestation qui ne fait que croître et étendre le faisceau de ses revendications – lesquelles portent principalement sur le retrait du décret sur le statut des universitaire et la réforme du concours de recrutement des enseignants. Pour se faire entendre par delà les amphis et les appels à la manifestation, la fronde universitaire mise sur des modes d’action originaux, notamment des lectures marathon et symboliques de La Princesse de Clèves – plusieurs sont prévues ou ont déjà eu lieu partout en France, cf. www.fabula.org.
Lundi après-midi, à Paris, Marcel Bozonnet et, beau symbole, Louis Garrel ont initié la chose sur le fronton du Panthéon, accompagnés par quelques centaines de personnes parfois venues le livre à la main. Pendant plusieurs heures, des dizaines de voix et d’accents contrastés se sont emparés successivement de la parole de Madame de La Fayette pour faire la lecture et la leçon tout à la fois à Nicolas Sarkozy. Les forces de l’ordre, manifestement amatrices de littérature dix-septièmiste, étaient venue en nombre mais gardèrent leur distance tandis que les lecteurs volontaires (profs, étudiants, militants, passants) se relayaient à la tribune, ponctuant quelques fois l’entame de leur lecture par une raillerie à l’encontre de Nicolas Sarkozy, une invitation à rejoindre le mouvement, ou bien une exhortation à signer la pétition pour la démission de Xavier Darcos – « Il dit que l’Education Nationale, c’est lui et nous traite comme si nous étions à sa botte, a clamé un enseignant, alors que c’est lui qui est au service de l’Education Nationale, à notre service, à votre service ».
Il aura fallu 6h15 aux lecteurs pour aller au bout du texte du roman, au delà de la tombée de la nuit. Sophie Rabau, initiatrice de ce projet joliment narquois et maître de conférence à Paris III, motivait ainsi cette singulière « réaction aux propos de Nicolas Sarkozy » : « Le roman de Madame de La Fayette est complexe, c’est vrai, mais nous croyons que sans la complexité, la réflexion et la culture, la démocratie est morte. Le rôle de l’université, c’est d’ouvrir à la culture. Nous sommes des gens qui voulons partager notre savoir. Parce que nous désirons un monde possible où nous pourrions, aussi, parler de La Princesse de Clèves, de quelques autres textes, et pourquoi pas d’art et de cinéma avec nos concitoyens, quelle que soit la fonction qu’ils exercent ». Derrière, Marcel Bozonnet, dramaturge et ancien directeur de la Comédie française, renchérissait : « Tout le monde a le droit de lire La Princesse de Clèves, parce que ça sert à nommer des sentiments, des sensations que l’on ne sait pas nommer ». De quoi postuler que sans les mots de Madame de La Fayette, peut-être que Nicolas n’aurait pas su séduire Carla…
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