Fille et belle-fille de, actrice et mannequin… Le capital de crédibilité de Lou Doillon da ns la chanson était aussi mince que son tour de taille. Mais sa voix superbe et le parrainage d’Etienne Daho effacent tous les préjugés.
Puissiez-vous, lecteurs légitimement suspicieux lorsqu’une actrice, de surcroît “fille de…”, s’approche d’un micro, entendre la voix de Lou Doillon sans en connaître la provenance. C’est la chance qui fut la nôtre il y a un an, lorsqu’Etienne Daho nous fit découvrir à l’aveugle une paire de demos dont on ressortit bouleversé et hanté pour longtemps. A qui appartenait cette voix à la présence déjà impressionnante ? A une petite soeur cachée de Cat Power ? A une chanteuse folk oubliée dans les tréfonds de l’histoire comme Karen Dalton ? Aux années 2010 ou aux années 1960 ?
Une fois connu le nom de la propriétaire de ce timbre à l’élégance ébréchée et aux modulations de graves et de pas si grave, tour à tour solennel et espiègle, ce ne fut pas tant que ça une révélation. Actrice, mannequin, comédienne de théâtre exigeante, Lou Doillon possède depuis toujours une espèce de sauvagerie douce qui intrigue et s’accorde à merveille au genre de musique qu’elle a choisi d’embrasser : un folk aux ambitions aériennes et traversé d’influences ensorceleuses, de Marianne Faithfull à Patti Smith en passant par Lou Reed, naturellement chanté dans l’anglais maternel mais différemment de celui de Charlotte et à l’opposé de celui de Jane.
Dans sa position de “bâtarde” de la famille royale du show-biz chic et de la vénération parfois pesante qui l’entoure, Lou a longtemps morflé en silence. Elle est aussi la fille d’un des cinéastes les moins expansifs et racoleurs qui soit, Jacques Doillon, et c’est plus volontiers vers cette ascèse artistique qu’elle penche désormais.
On cherchera en vain la moindre trace de Gainsbourg dans ses gènes musicaux, même si Daho, passé du statut de fan à celui de réalisateur de son premier album, a su apporter quelques couleurs plus pop dans les austères voilages d’origine. En avant-goût du somptueux Places qui sortira à la rentrée, elle publie un premier ep, I.C.U., et, à l’écouter chanter et se raconter, on sait d’avance que Lou est là pour longtemps.
ENTRETIEN
Comment en es-tu venue à enregistrer cet album ?
Lou Doillon – C’est ma mère qui m’a joyeusement dénoncée à Etienne Daho. S’il se passe quelque chose d’un peu magique avec ce disque, sans prétention aucune, c’est sans doute parce que cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu. Etienne est un ami de ma mère et de ma soeur Charlotte, moi je le connaissais très peu. Comme il avait déjà bossé avec ma famille, pour moi c’était a priori inenvisageable de travailler avec lui. Je ne connais pas très bien sa musique, je la découvre aujourd’hui. Si j’avais démarché seule une maison de disques, je pense qu’Etienne aurait été la dernière personne au monde à laquelle on aurait pensé pour faire un album avec moi. On m’aurait collé dans les pattes un folkeux américain ou on m’aurait fait enregistrer en Angleterre, alors que ce que j’aime au contraire dans notre association, c’est cette rencontre entre la pop française et ce qui peut s’apparenter à du vieux folk. Ce n’est pas la musique qu’il aime le plus et moi je ne me sens pas plus proche que ça de la pop française : cette espèce de malentendu bizarre nous a conduits je ne sais par quelle magie à un coup de foudre artistique et humain.
Tu l’expliques comment ?
Nous étions tous les deux à la recherche de quelque chose. Lui n’avait pas écrit depuis longtemps, il rêvait peut-être de rencontrer une muse. Moi, j’avais besoin d’avancer ce projet de mon côté. Notre rencontre s’est imposée comme une évidence alors qu’on se croisait depuis quinze ans et qu’on ne s’était quasiment jamais adressé la parole. Il a été très marqué par le clan Gainsbourg, y compris au niveau musical, alors que je me situe ailleurs, mais, à la surprise générale, il a su se mettre à bonne distance de mes chansons et a apporté beaucoup tout en me laissant la liberté de décision. Ceux qui attendaient un duo, ou que je chante du Daho, seront surpris.