Deux jumelles sublimes, un ex-Secret Machines, une seule possibilité : les New-Yorkais School of Seven Bells offrent avec Alpinisms un premier album de pop stratosphérique, sonique et complexe dont les beautés froides révèlent de nouveaux trésors à chaque écoute.
“Je regardais la télé, tard dans la nuit, et j’ai vu un documentaire qui m’a fasciné. Ça concernait des pickpockets, un gang des années 90 en Amérique du Sud. Ils étaient particulièrement bons, ils avaient un code qui leur était propre, personne ne les soupçonnait, personne ne pouvait les attraper. Et ces gens avaient été formés dans une académie spéciale, dans les années 80. L’école s’appelait la School of Seven Bells –l’un des examens de passage était de voler un objet dans chacune des poches d’une veste en contenant sept et sur chacune desquelles était accrochée une petite clochette.”
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Nous sommes à Brooklyn, NY. Dans le quartier de Bushwick, à quelques encablures de la très hype Williamsburg. Dehors, le froid polaire a fait perdre leurs mathématiques à Celsius et Fahrenheit. C’est Alley Deheza qui parle. Faisant face à Benjamin Curtis, troisième larron, elle est assise à côté de sa sœur jumelle Claudia. Alley et Claudia sont belles et fraîches comme une première neige, à tomber raide dingue amoureux en cinq secs. Et Alley vient, en quelques phrases et par un nom de groupe idéalement choisi, d’expliquer le concept de School of Seven Bells et de repousser, avant même qu’elles pointent leur dard, les critiques qu’on ne manquera pas d’adresser aux Américains.
Car Claudia et Alley (ex On!Air!Library!) et Benjamin (ex-Secret Machines) semblent avoir fait les poches de pas mal de groupes. Pas les plus mauvais, heureusement : immédiatement, dès l’ouverture de leur premier album Alpinisms, on pense à My Bloody Valentine. Et aux Cocteau Twins. Et à Lush et à Ride. Voire au Mystère des Voix Bulgares. “On n’écoute pas, et on n’a jamais vraiment écouté les Cocteau Twins, s’emporte presque la pourtant plutôt timide Claudia. Je pense que c’est simplement parce que les journalistes entendent des voix féminines un peu éthérées. Et surtout parce que nous sommes jumelles… Quant au shoegazing, on s’en fout un peu. Mais si les gens veulent nous mettre à côté de My Bloody Valentine, ça ne me dérangera pas : c’est un groupe exceptionnel. Nous avons chacun nos propres goûts, c’est une alliance de tout cela qui forme notre son.”
On comprend le vague énervement de la demoiselle. Résumer School of Seven Bells à des influences, réelles ou supposées, c’est tenter d’expliquer la beauté de l’Humanité par son patrimoine génétique. Ça rabaisse. Et si School of Seven Bells vole, c’est sans se faire sonner les cloches, et c’est dans les deux sens du terme – Alpinisms est une petite merveille de pop gazeuse, toute en mousses mélodiques, qui croît en strates soniques vers les sommets. Le shoegazing, les harmonies vocales voltigeuses, les assauts soniques mêlés aux puretés de mélodies cristallines ne sont qu’un premier élément du puzzle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : d’un immense puzzle.
Passées les gelées pop de la face nord de l’album, Alpinisms est de ces disques qui gagnent en profondeur et mutent à chaque écoute. Qui révèlent, jour après jour, de nouvelles perspectives, des arrêtes inédites, des sons pas encore croisés. Grand album, Alpinisms dévoile, petit à petit, sa minutie de coucou suisse. “On cherche quelque chose qui soit le plus organique possible, explique Ben. Qui sonne animal, qui respire. Et avec beaucoup d’épaisseur, de profondeur. Les choses nous viennent naturellement. On ajoute des couches aux couches, on veut que les gens ne puissent pas comprendre de quoi est faite notre musique.”
Il y a onze morceaux sur Alpinisms. Mis à part un sens commun du merveilleux, une certaine pâleur diaphane, la même envie de frôler la magie blanche, ils n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres, sont chacun le centre de leur propre univers. Dans des morceaux glacés par les voix voltigeuses des deux jumelles, quelques reflets chauds de musique africaine font fondre les humeurs (la très belle ouverture Iamundernodisguise, les moyen-orientalisantes Face to Face on High Places et Wire for Light). Des rythmiques ou psalmodies tribales se planquent sous les raideurs synthétiques (Sempiternal/Amaranth, grand morceau de bravoure kraut), des véritables petits tubes (l’ultra-mélancolique single Half Asleep, à pleurer, ou la renversante Conjuur) répondent à de drôles de hip-hop blafards (Prince of Peace). Le tout, bout à bout, file un sacré vertige. La rumeur a précédé School of Seven Bells : le groupe était, disait-on, excellent. On espérait de la hauteur : Alpinisms, au pluriel, sont des sommets.
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