Dans un documentaire diffusé sur Arte, qui le suit autour du monde, le prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz ouvre des pistes solidaires pour une mondialisation maîtrisée.
Sur le quai vide d’une gare perdue de l’Indiana, Joseph Stiglitz pose son pied comme s’il découvrait une terre dévastée, celle de son enfance. Dans sa ville natale – Gary, Middle West –, la mondialisation de l’économie a fait des ravages. L’acier et l’automobile, qui firent sa richesse, sont sinistrés. Ex-ville industrielle, elle peine à surmonter le renversement d’un modèle économique dont personne ne maîtrise les flux transnationaux.
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Filmé par Jacques Sarasin dans le décor brutal d’un paysage fantomatique, l’économiste néokeynesien marche, pense et parle posément : la réflexion que mène le prix Nobel d’économie (2001), proche de la gauche américaine, ancien conseiller de Bill Clinton, offre des perspectives passionnantes de compréhension des vices du capitalisme mondialisé. Mais surtout, elle ouvre des voies de résolution des crises actuelles.
Le documentaire de Sarasin repose moins sur la biographie que sur l’attention portée, in situ, aux paroles d’un homme – paroles alors comprises grâce au contexte géographique dans lequel elles se développent. Par contraste avec la désolation de sa ville natale, Stiglitz voyage de par le monde – Equateur, Botswana, Chine, Inde, etc. – pour explorer les multiples traductions d’un même phénomène, la mondialisation, dont les effets conduisent en partie à l’exploitation de millions de victimes impuissantes.
Comme en Equateur, où la multinationale Texaco s’est installée pour puiser du gaz et du pétrole, sans prendre en considération les conséquences de son implantation : la destruction de la biodiversité et le développement des inégalités locales. A partir de ce cas, Stiglitz parle de la “malédiction des ressources naturelles” et du “paradoxe de l’abondance” : au lieu de les aider, les ressources naturelles condamnent à la pauvreté les pays qui en possèdent. D’où la nécessité d’une juridiction internationale qui protège les pays émergents floués.
Stiglitz élargit le cadre de sa critique au fonctionnement de l’OMC qui, selon lui, ne produit que des règles injustes, notamment à travers son dispositif de subventions agricoles pénalisant les pays pauvres. Les règles commerciales doivent intégrer des principes d’équité et d’aide au développement. De même, Stiglitz appelle à la création d’une banque du Sud, pour contrebalancer le poids du FMI et de la Banque mondiale trop proches des intérêts des pays riches. Au coeur de sa réflexion, la biopiraterie et la propriété intellectuelle occupent aussi une place essentielle : l’économiste insiste sur la nécessité de faire de la connaissance un “bien public” et condamne la logique des brevets dont les multinationales tirent profit en privatisant un patrimoine commun. Mouvante, à l’image de ses déplacements dans le film, la pensée de Stiglitz est un antidote au poison d’une mondialisation soumise à la loi du plus fort. La marche n’est pas finie pour Stiglitz, mais on est prêt à le suivre jusqu’au bout du monde.
Le Monde selon Stiglitz Documentaire de Jacques Sarasin (Fr., 2008, 65 mn). Mardi 10 mars à 22h35 sur Arte
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