Au XVIIIe siècle, un jésuite français peint une impératrice chinoise. Le récit d’une sublimation. Une réflexion sur deux traditions de représentation.
Quatrième long métrage pour ce cinéaste français de plus en plus happé par l’Asie (il a également produit les films d’Apichatpong Weerasethakul). Malgré cela, ce film traitant des interactions entre des jésuites français et la cour de l’empereur de Chine Qianlong au XVIIIe siècle est une surprise. C’est l’œuvre la plus linéaire et dramatique de de Meaux, au sens traditionnel. Un film délicat en costumes, dont certaines scènes peuvent rivaliser avec les meilleures du genre.
On ne prononcera pas le terme “académique”, car le cinéaste met en crise cette notion avec son sujet. Il démontre que l’art occidental de l’époque était perçu par les Chinois cultivés comme non-académique, voire obscène. Un membre de la cour déclare que les tableaux occidentaux salissent leurs sujets en leur ajoutant des ombres (la peinture d’Extrême-Orient les ignorait). A quoi le jésuite français, Jean-Denis Attiret (Melvil Poupaud), chargé de réaliser le portrait de l’impératrice Ulanara, rétorque plus loin que seuls les Occidentaux savent peindre la vie telle qu’elle est. Conception qui s’est avérée depuis réductrice et contestable (voir sur YouTube une conférence de David Hockney en 1988 à propos d’un rouleau de dessin chinois du XVIIIe). Mais on peut aussi voir dans ce film un autoportrait critique du cinéaste.
Le cœur du film se résume à la relation presque exclusivement visuelle entre le peintre Attiret, au nom prédestiné, fasciné par son modèle. Et vice versa. Comme le remarque une suivante de l’impératrice : “Il te regarde comme un homme regarde une femme” (pas comme une déesse). Toute la beauté du film, outre la méticulosité de son travail sur les décors et les costumes, réside dans ces regards, dans l’attitude tour à tour frivole, aguicheuse ou anxieuse de l’impératrice, incarnée par la star Fan Bingbing ; ainsi que dans celle du peintre, qui voit avant tout son modèle comme un être de chair.
Mais l’épisode du portrait n’est qu’un film dans le film, dont le vrai sujet est l’inquiétude chronique de l’impératrice, qui se concrétise par sa jalousie maladive (et probablement justifiée) pour la nouvelle favorite de l’empereur. Dans cette partie, qui est un peu une postface, le film flotte, se cherche un équilibre et une constance, entre scènes de genre et accès dantesques. Au passage, on n’oubliera pas la part d’humour dans ce drame prenant, comme lorsque les Chinois expriment leurs préjugés sur l’Occident. Car ce traité d’art et de culture entremêle avec goût sensualité et impertinence.
Le Portrait interdit de Charles de Meaux (Fr., Chin., 2017, 1 h 34).