La société mexicaine, ses gosses pauvres et ses hommes riches, à travers un concours d’enfants-héros organisé par une radio réac. Un roman farcesque, brillant et méchant signé Enrique Serna.
C’est un toc dont aucun critique littéraire ne saurait se prétendre à l’abri : la manie de voir dans à peu près n’importe quel roman – enfin, chez les étrangers, il faut bien le reconnaître – une “critique féroce de la société” qui a vu naître l’auteur, qu’elle soit américaine, israélienne, indienne… Ou, Salon du livre oblige, mexicaine. Mais, juré, il n’est aucun besoin de tirer l’interprétation de Quand je serai roi d’Enrique Serna par les cheveux pour trouver que le second roman traduit en France de cet écrivain de 50 ans relève très nettement du genre de la satire sociale – et d’une satire infiniment violente, à la fois désespérante et réjouissante. Dans sa charge cruellement drôle, Serna, maître de l’humour noir et du tacle ravageur, n’épargne personne. Les pauvres pas plus que les riches, la gauche pas plus que la droite.
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On croise en effet dans ces pages des représentants de toutes les classes. Tout au bas de l’échelle, il y a Jorge, caïd de 12 ans qui lave les pare-brise aux feux rouges et sniffe de la colle. Tout en haut, il y a Marcos Valladares, riche patron d’une station de radio réac en diable, mari et père d’une quarantaine d’années qui vit dans le “Dallas” de Mexico, accumule les voitures, les armes et tous les signes extérieurs de richesse pour épater ses copains. Il a lancé un concours “d’enfants-héros” pour exalter les valeurs fondamentales de sa station – en gros, bigoterie et libre entreprise – en échange d’un million de pesos et d’un voyage au Vatican pour le gagnant. A la faveur de ce concours et d’un accident causé par le fils débile de Marcos, leurs mondes vont entrer en collision. Entre-temps, on aura rencontré aussi Damian, le futur beau-père de Jorge, homo refoulé et vrai minable adepte de la délation ; Javier, journaliste à la radio, gauchiste enragé dans son coeur qui passe son temps à soutenir la droite à l’antenne parce qu’il faut bien manger… Et puis des flics corrompus, des politiciens véreux, une faune de femmes au foyer qui s’ennuient et maltraitent le petit personnel.
Racisme, hypocrisie, cupidité, corruption… Enrique Serna se sert de sa farce grimaçante pour mettre au jour quelques-uns des fléaux qui minent son pays – qu’il a d’ailleurs quitté pour s’installer à Barcelone. Il distribue les baffes dans un grand éclat de rire, en alternant les voix, les styles narratifs (récit, scénario, dialogues…) et les milieux explorés – chacun son tour en prend pour son grade. Le ressort du concours d’enfant-héros lui interdit de tomber à quelque moment que ce soit dans le genre édifiant/lénifiant. Mais Enrique Serna est, évidemment, du côté des familles pauvres qui sont prêtes à tout – vraiment à tout – pour remporter le concours de la radio. Et pas de celui des salauds qui l’organisent avec cynisme et les poussent à ces extrémités. Tableau féroce de la société mexicaine, disait-on ? En réalité, d’une variante locale de la condition humaine.
Quand je serai roi (Métailié), traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry, 274 pages, 18€
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