19 morceaux étalés sur 77 minutes et partagés avec des stars de l’entertainment américain (Pink, Beyoncé, Ed Sheeran) : Eminem a voulu marquer le coup pour son neuvième album solo. Raté : « Revival » est un disque anodin, voire ennuyeux.
Ces dernières années, Eminem a très peu excité les passionnés de rap – ceci est un euphémisme -, les seules exceptions à ce déprimant constat, Marshall Mathers LP 2 et le fameux freestyle anti-Trump, n’atteignant pas non plus le nirvana. L’idée qu’un album digne de ce nom émerge entre les mains de l’Américain commençait ainsi à sérieusement se dissoudre dans l’air ambiant. L’arrivée de Revival avant les fêtes était donc censée remédier à ce problème. Pas de chance : la presse internationale, voire une bonne partie du public, semblait déjà prête à lui tomber dessus depuis la sortie en éclaireur de Walk On Water, aux côtés de Beyoncé. Radical, le site américain The 405 considère même qu’il s’agit là du pire album de sa carrière…
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Lourdingue et incohérent
Pour juger Revival, il faut donc savoir prendre un peu de recul, ne pas céder à la colère générale (ce qui n’est pas toujours facile) et comprendre les intentions d’un Eminem visiblement à la recherche d’une nouvelle identité. De Walk On Water à Arose, le MC souhaite ici s’ouvrir à d’autres univers, entamer des collaborations surprenantes (Ed Sheeran, Pink, Skylar Grey) et réunir tout le monde, les amateurs de rap comme ceux qui n’en écoutent pas. Pourquoi pas. Le problème, au fond, c’est qu’il se laisse griser par une ambition pop mal maitrisée, ajoute des sons qui alourdissent le propos et entrainent l’album sur des chemins confus. D’autant que Revival ne fait pas dans la concision : dix-neuf titres, 77 minutes, c’est long. Trop long. Et on finit logiquement par se perdre dans ce lot d’intentions incohérentes.
Eminem contre Donald Trump
En s’attaquant aussi frontalement à Donald Trump, à l’extrême-droite américaine et à cette bourgeoisie blanche qu’il méprise, Eminem avait pourtant tout pour livrer son album le plus abrasif, le plus intransigeant. Là encore, c’est raté : ce n’est bien sûr pas une surprise, mais Revival ne se mesure pas du tout aux chefs-d’œuvre que sont The Marshall Mathers LP ou The Eminem Show, à leur noirceur, leur intimité et leur dérision. À regret, on le rangera plutôt dans la catégorie des disques boursouflés du bonhomme (type Relapse), tant Slim Shady, que ce soit dans son flow ou ses choix de production, ne surprend jamais. On espérait une bête féroce et captivante qui se réveille. On a le droit à un mec de 45 ans sans doute un peu dépassé par ce qui se joue actuellement et qui n’a pas malheureusement pas les armes pour lutter face à la fougue d’artistes tels que Kendrick Lamar (moins frontal, plus introspectif dans sa façon de s’attaquer au gouvernement américain) Vince Staples ou même Jay-Z, toujours fringant malgré ses 48 printemps.
Un album pop
À l’évidence, Eminem a simplement enregistré là un album pop. C’était peut-être son intention (à l’heure où l’on écrit ces lignes, l’Américain n’a pas encore donné d’interview) et ça n’a rien d’un problème en soit : après tout, quel meilleur moyen pour faire passer un message que de le rendre suffisamment lisible aux oreilles de tous? Parfois, le rappeur atteint d’ailleurs son but : Nowhere Fast ou Offended, peut-être le titre plus étrange et donc le plus courageux, sont en soit des pop-songs de bonne facture. Mais l’on est en droit d’espérer autre chose d’un artiste qui se voulait autrefois un contrepoids à la culture pop américaine, un homme qui semblait prendre un malin plaisir à en exploiter l’hypocrisie et qui le faisait merveilleusement bien. On est en droit également d’espérer autre chose des producteurs, et notamment de Rick Rubin ou d’Alex da Kid, dont les cinq titres produits ici paraissent extrêmement lisses, si ce n’est complètement fades.
Qu’ils se rassurent, le problème est global : qu’il sample I Love Rock ‘n’ Roll de Joan Jett and the Blackhearts sur Remind Me, Zombie des Cranberries sur In Your Head ou Earache My Eye de Cheech and Chong sur Untouchable, Eminem se plante à chaque fois et ne parvient pas à renouer avec la magie d’un Sing For The Moment. Pire, il noie son propos derrière des beats sans saveur. À l’image de Like Home (en duo avec Alicia Keys) où il compare Trump à Hitler de la façon la plus banale qui soit, sans que la production ne vienne appuyer le geste. Signe que ce neuvième album solo ressemble finalement à ce que l’on redoutait : une succession de titres qui laissent perplexe et qui, malgré une communication savamment maitrisée, témoignent d’une sérieuse crise d’inspiration.
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