Les Inrocks n’ont pas toujours couvert Cannes. Nous avons basculé en 1997, onze ans après la naissance du journal. C’est Frédéric Bonnaud qui a ouvert le débat. Il désirait ardemment fouler la Croisette, s’offrir une orgie de films, amortir sa nouvelle paire de Ray-Ban, voire draguer des actrices. Je freinais des quatre fers. Je ne […]
Les Inrocks n’ont pas toujours couvert Cannes. Nous avons basculé en 1997, onze ans après la naissance du journal. C’est Frédéric Bonnaud qui a ouvert le débat. Il désirait ardemment fouler la Croisette, s’offrir une orgie de films, amortir sa nouvelle paire de Ray-Ban, voire draguer des actrices. Je freinais des quatre fers. Je ne voulais pas courtiser des actrices et je n’avais pas de Ray-Ban. Plus sérieusement, Bonnaud était convaincu que traiter le festival international du film faisait partie de la mission éditoriale des Inrocks dès lors qu’en configuration hebdomadaire nous traitions régulièrement de l’actualité cinéma. Je campais sur des positions plus puritaines : je considérais que Cannes c’était strass et paillettes, un événement surgonflé pour émissions de Michel Drucker, et que Les Inrocks n’avaient pas été créés pour parler de ce type de sujet mainstream, qu’il fallait réserver notre encre précieuse pour les marges et pas pour le centre. Ce que ma mauvaise foi zappait, c’est que le Festival de Cannes est un paradis de cinéphiles qui rassemble le centre et les marges du cinéma. Bien meilleur parleur que moi, Bonnaud n’a pas eu de mal à convaincre Christian Fevret de nous débloquer quatre billets SNCF 2de classe et dix nuits dans les soupentes de l’Adosom, une belle et peu onéreuse pension nichée dans un parc à vingt minutes de marche du tapis rouge.
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Nous voilà donc partis, Frédéric Bonnaud, Dominique Marchais, Eric Mulet et moi-même, escouade de bizuts en goguette que nous taguerons longtemps entre nous la « dream team », ou la bande « Rio Bravo » (devinez qui faisait John Wayne, Dean Martin, Ricky Nelson ou Walter Brennan). Nous découvrons rapidement les règles de la principauté cannoise, la géographie des différentes salles et sélections, les effets chromatiques des accrédites (rose, tu passes ; bleue, tu fais la queue ; orange, si t’as la chance d’entrer, t’es tout en haut sur le strapontin derrière le pilier…), les oasis où l’on reprend son souffle (la terrasse Un certain regard, le sushi bar dans la petite rue derrière, le Blue Bar qui n’existe plus…), les spots de la night (fêtes plages, fêtes villas, le Cat-Corner, le Petit Majestic…).
Régional de l’étape, Mulet fait du Mulet (pas de mot pour décrire ce phénomène qui dévalue le terme « gonzo »), Marchais répare les ordis dysfonctionnels avec une allumette, Bonnaud et moi, armés de téléphones portables épais comme des talkies-walkies, sillonnons les projos à un rythme de quatre ou cinq par jour + les papiers à écrire + les problèmes de transmissions modem à régler + les nuits blanches comme la poudre circulant à la mégateuf Ferrara. Cette édition dantesque (excitation de bleus bites, épuisement total) se reflétera dans les pages : critiques rassemblées en un seul long texte collectif façon carnet de bord jour par jour, encadrés consacrés aux portraits, et même chronique hilarante de Mulet sur la nuit blanche Ferrara (dans le genre de ce que fera Siankowski ces dernières années).
Cannes 1997, 50e édition et première pour nous, ce fut surtout un grand cru de cinéma et le plus beau des palmarès, sorti de la bouche de la présidente Isabelle Adjani : Palme d’or pour L’Anguille d’Imamura et Le Goût de la cerise de Kiarostami, prix de la mise en scène pour Wong Kar-wai avec Happy Together, prix du 50e anniversaire pour Le Destin de Youssef Chahine, etc. Qui dit mieux ? Qui a fait mieux depuis ? Bonnaud et Fevret avaient raison : une édition a suffi pour que Cannes devienne un rendez-vous impérieux du journal.
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