A Bordeaux, une exposition et une table ronde avec de jeunes magistrats pour faire le point sur les relations houleuses qu’entretiennent l’art et la loi.
Alors que l’art contemporain fait régulièrement les frais de la censure (depuis les affaires Mapplethorpe et Serrano aux Etats-Unis, jusqu’aux cas plus récents, Maurizio Cattelan – conspué pour avoir pendu à un arbre trois mannequins de jeunes garçons – et Alain Declercq, perquisitionné et soupçonné d’accointances avec le terrorisme pour un pastiche de documentaire sur les attentats du 11 Septembre), une exposition organisée dans le hall de l’Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux réunit neuf oeuvres (signées Blanckart, Ramette ou Présence Panchounette) autour du thème de la justice. La semaine dernière, c’est devant un parterre de 250 juges fraîchement diplômés de l’ENM qu’une table ronde animée par Catherine Millet, rédactrice en chef d’Art Press, l’artiste Olivier Blanckart et la directrice du Frac Aquitaine Claire Jacquet a fait le point sur les relations houleuses qu’entretiennent l’art et la loi.
Ce débat n’a pas atterri à Bordeaux par hasard : en 2000, une exposition d’envergure internationale y avait suscité la fureur d’une association de protection des mineurs entraînant la condamnation de ses organisateurs. Quelques mois après la fermeture de l’exposition Présumés innocents au CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux, l’association La Mouette portait plainte au motif que certaines images véhiculaient un message à caractère pornographique susceptible d’être vu par des mineurs. Parmi les responsables visés : l’ex-directeur du CAPC, Henri-Claude Cousseau, et les commissaires de l’exposition Stéphanie Moisdon et Marie-Laure Bernadac, mis en examen six ans après l’ouverture de l’enquête, et une vingtaine d’artistes parmi lesquels Cindy Sherman, Christian Boltanski, Annette Messager ou Paul McCarthy…
A l’heure qu’il est, les principaux accusés attendent toujours le nonlieu général requis l’année dernière par le parquet, mais qui n’a pas été ratifié par le juge en charge de l’affaire. “Alors que cette affaire sent encore le soufre, rappelle Claire Jacquet, l’Ecole nationale de la magistrature a eu le courage d’accepter cette table ronde sur le principe d’un acte civique et pour sensibiliser les futurs magistrats à des questions auxquelles ils sont peu préparés.” “Le moment le plus intense, a-t-elle ajouté, a sans doute été l’intervention de Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture et de la Justice, qui a décortiqué l’article de loi saisi dans cette affaire, pour en rappeler l’historique et prouver qu’il n’était pas fait pour condamner des oeuvres d’art.” Spécialiste en propriété intellectuelle, l’avocate Agnès Tricoire réclame depuis des années la création d’une “exception artistique” fondée sur le constat qu’une oeuvre n’est pas un message et ne devrait pas, de fait, être soumis à l’article 227-24 qui punit la diffusion de “message à caractère violent ou pornographique”.
Délibérations, jusqu’au 7 avril à l’Ecole nationale de la magistrature, 10, rue des Frères-Bonie à Bordeaux, tél. 05.56.00.11.23