Sur fond de culture rock des nineties, une histoire d’amour et de mort : c’est le premier récit pop du critique américain Rob Sheffied. Doux comme une chanson triste.
Rob Sheffield a grandi dans les années 70 sur les tubes rock de la décennie précédente (Stones, Led Zeppelin). Il a été DJ au bal de son lycée au début des années 80 (Van Halen, Blondie, Aerosmith), a connu son premier flirt en 1987 sous les traits d’une fille aux cheveux teints en rouge, fan de R.E.M., et a vécu, depuis les années 90, “la vie absurde de journaliste rock”, qu’il raconte ainsi : “J’ai écouté Britney Spears péter les plombs à l’arrière d’une limousine. J’ai pris un jour l’ascenseur avec Madonna. J’ai mangé des frites dans le bus de tournée de Linkin Park, partagé des remèdes contre la gueule de bois avec Ryan Adams, chanté au karaoké avec les Yeah Yeah Yeahs.”
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Dans ce premier récit écrit par un critique rock à MTV et Rolling Stone, la vie a un air de clip, forcément. Et pour raconter son histoire, Rob Sheffield choisit d’exhumer ses vieilles cassettes, d’anciennes compilations de chansons extraites de leur contexte original (album, radio) et agencées pour correspondre à une humeur – rouler en voiture, faire l’amour, la vaisselle, la fête, pour s’endormir, se remettre d’une rupture, etc. C’est le pouvoir de projection de la musique qui est ici convoqué, son intimité avec un futur fantasmé.
La musique (le rock) peut réinventer les vies deux fois. Après la force du projet, il y a la relève du souvenir – le rapport entre la musique et le temps étant également nourri d’un dialogue lié à la mémoire, à la reviviscence des événements. Pour l’auteur, “les compilations conservent mieux les souvenirs que les tissus du cerveau”.
A chaque compilation, donc, correspond un temps fort de sa vie, qui continue avec la rencontre de Renée, une belle fille fan de punk-rock, qu’il va aimer, puis perdre. On pense bien sûr inévitablement au génial roman de Nick Hornby, Haute fidélité, et à son portrait de nerd s’interrogeant sur l’influence dévastatrice du rock dans sa vie amoureuse.
De l’auteur culte en Angleterre, Rob Sheffield est une sorte de petit frère : mélomane plus inoffensif, moins incisif, mais du genre agneau lucide et calé. Son analyse du lien entre toutes les mélodies – jusqu’à celles de notre bande sonore intérieure – déploie moins de brio, mais une vraie sensibilité, un penchant réussi pour une gaieté éprise de mélancolie.
Bande originale donne aussi une autre couleur aux années 90. Promues vintage, elles deviennent, à l’instar des décennies qui les ont précédées, un véritable réservoir nostalgique : “Une époque géniale pour la culture pop, la décennie de Nirvana, Pearl Jam, Pavement, Beck et Björk ; celle où Johnny Depp s’est fait faire son tatouage “Winona forever”, où le cauchemar Reagan-Bush touchait à sa fin. Les frontières de la culture américaine explosaient, et la musique ouvrait la voie.” Un chouette récit donc, pour se souvenir et mythifier sans modération, qui a le charme des slows anciens.
Bande originale (Sonatine Editions), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, 300 pages, 19 €
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