De Jonathan Safran Foer au succès de Twilight : symptômes d’un temps où l’horreur est maintenue à distance.
Claude Lanzmann, dans ses mémoires, raconte que lorsqu’il a démarché les producteurs américains pour l’aider à financer Shoah, aucun n’a accepté car le “message” que délivrerait le film ne serait pas optimiste mais pessimiste. C’est vrai que Lanzmann voulait dire la mort – pas la survie. Dire ce qu’ont pu éprouver des millions de Juifs lorsqu’ils se sont retrouvés dans une chambre à gaz n’est pas franchement ce qu’on peut appeler un message optimiste. Faire de l’Holocauste un événement optimiste, c’est un défi qu’un véritable cinéaste ne pouvait pas relever. Il n’y a donc pas un dollar dans le financement de Shoah.
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Cela pourrait ne relever que de la pure anecdote si cette attitude ne se répercutait pas, des années plus tard, chez nombre de jeunes auteurs américains, dont certains traitent de l’Holocauste et de ses survivants, ou des tragédies de l’histoire du XXe siècle. Comment neutraliser la douleur ? Comment la transformer en légèreté pour délivrer un message “optimiste” ? Qu’il s’agisse de Nicole Krauss, Jonathan Safran Foer, Junot Diaz, Nathan Englander, Marisha Pessl, Stefan Merrill Block, pour n’en citer que quelques-uns, il va s’agir d’utiliser la voix d’un enfant, d’un adolescent, d’un tout jeune homme, ou encore d’un amnésique – ou, pourquoi pas, d’un chien ou d’un autiste… Quelqu’un qui ne se rend pas bien compte de ce qui arrive – cruauté des massacres, de la culpabilité du survivant, de l’exil, de l’immigration.
Aujourd’hui, pour ces romanciers qui ne l’ont pas connue, parler de l’horreur est un devoir, mais à condition de la rendre acceptable en la racontant d’un point de vue “idiot”, naïf, ingénu, car générateur des effets comiques. Une littérature mignonne. Mais la littérature est-elle faite pour neutraliser l’angoisse ? N’y-a-t-il pas quelque chose d’obscène à édulcorer la souffrance ? Et l’on en arrive à l’invraissemblable succès de Stephenie Meyer et de Twilight. Cette grande histoire d’amour (culcul la praline) entre un vampire sexy et une humaine, qui ne peuvent pas faire l’amour (sur quatre tomes, c’est long !) au risque que l’un dévore l’autre. Comment mettre à distance la souffrance que peut aussi engendrer le plaisir sexuel, ses doutes, son animalité ? La vie tue. La vie salit. Le sexe aussi. Le succès de Meyer n’est que le symptôme d’un temps où tout rapport vrai, charnel, c’est-à-dire dangereux à l’autre, effraie. Le sexe est maintenu à distance, mais la mort aussi.Dans un monde où le sexe est partout, de plus en plus virtuel, mais le désir nulle part, et où l’Histoire a lieu à des milliards de kilomètres, les écrivains écrivent avec des voix d’enfants et les vampires ne mordent plus. Rendez-nous Fitzgerald !
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