Joey Goebel a été chanteur et guitariste dans des groupes de pop-punk. Puis est devenu écrivain. Trois romans plus tard, il n’est pas sûr que ces deux activités soient si différentes.
De ses années de chanteur-guitariste-parolier au sein de deux groupes de pop-punk, il semble lui rester surtout sa coupe de cheveux. Longues pattes sur les joues et pétard relatif sur le dessus – lequel traverse la phase de dégarnissement temporal typique du pré-trentenaire. A ceci près, Joey Goebel a laissé derrière lui cette importante – huit ans sur une existence de vingt-neuf – époque de sa vie et réserve ses concerts à sa femme (“et à notre labrador, aussi”, ajoute le pince-sans-rire garçon) : “Du jour où je l’ai rencontrée, dit-il, je n’ai plus eu besoin d’appartenir à un groupe. Quand on n’est pas ultradoué, c’est quand même vraiment un truc de mec célibataire, non ?”
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Ce qui, chez lui, n’est pas réductible à une situation sentimentale, c’est l’envie d’être “un entertainer”, dit-il. “Je n’aurais jamais osé me définir comme un artiste, mais comme un entertainer, si.” Cela valait quand il jouait de la musique. Il considère que c’est toujours ce qu’il fait en tant qu’écrivain, avec trois romans – infusés de musique – publiés, et des lectures publiques qu’il transforme en véritables shows à sketches. “Je ne prétends à rien d’autre qu’à divertir les gens. C’est de ça dont je rêvais gamin, sans savoir vraiment comment.”
Avec son accent et sa lenteur dans la diction façon vieillard à bretelles du Sud profond, il explique : “Vous auriez grandi à Henderson, Kentucky, jeune dame, vous aussi vous auriez rêvé de trouver un moyen, n’importe lequel, de faire oublier votre ennui, à vous et vos potes.” Il y eut donc, d’abord, le groupe The Mullets, monté avec deux copains, à 15 ans, dans le garage des parents, qui a tourné sur quelques scènes du coin, et sorti trois albums. Après leur split, en 2001, le diplômé d’anglais se lance dans l’écriture d’un texte autour d’un groupe et de la préparation de son premier concert dans une ville paumée du Midwest. Ce scénario est composé de freaks : un Noir poète et commissaire de piste dans un cynodrome, une vieille dame nympho, une bombe sexuelle sataniste, un Irakien efféminé… “Allez savoir pourquoi, raconte-t-il en rigolant, tous les agents auxquels je l’ai envoyé l’ont refusé.”
Du coup, Joey Goebel a décidé d’explorer une autre voie, et de transformer son synopsis en roman : ce sera The Anomalies – du nom de ce groupe d’allumés –, qui vient de paraître en France. S’il a les défauts du scénario devenu livre (la prépondérance des dialogues), ce roman joyeux et drôle à la gloire de la beauté des freaks et du droit à l’originalité dégage la même énergie frénétique que la musique de The Anomalies (“J’imaginais un truc aussi pêchu que ce que font les Flaming Lips”).
En attendant la sortie de son livre (elle aura lieu, aux Etats-Unis, en 2004), Goebel forme The Novembrist, “plus sombre et littéraire que The Mullets”. Après un disque, le groupe se sépare au bout d’un an. Terrassé, donc, par l’apparition de la future femme de son leader. Et Goebel se lance alors dans l’écriture de son très, très bon deuxième roman, Torturez l’artiste !, publié en France en 2007, réédité aujourd’hui en poche. Une satire jubilatoire et barrée de la culture de masse et une variation réjouissante sur le thème de l’artiste maudit. Goebel y prend sa revanche “sur toutes ces années de rejet”, en imaginant le projet d’un magnat de l’industrie de l’entertainment qui décide de relever le niveau d’un paysage culturel qu’il a lui-même abaissé pour faire du fric. Le roman est porté par la voix hyper attachante d’Harlan, l’un des artisans de cette rédemption, qui définit chacun des personnages qu’on croise par ses film, émission et groupe favoris.
Ça vous rappelle quelqu’un ? Nick Hornby par exemple, et ses obsessions musicales ? Pourtant, Joey Goebel jure n’avoir jamais lu un roman de l’auteur de Haute fidelité. Il n’a même jamais entendu parler de “pop literature”, et adopte, ravi, l’expression dès qu’il l’entend : “C’est exactement ce que je fais !” A chaque fois qu’il ouvre la bouche pour parler de son travail, c’est comme s’il cochait une case supplémentaire au formulaire d’adhésion au groupe pop lit.
Oui, il adore la musique, et en fait un référentiel commun. Oui, même s’il a beaucoup lu, même s’il adore Scott Fitzgerald et Bukowski, il est “sans doute l’un des jeunes auteurs qui a le plus regardé la télévision” et n’a pas peur de l’intégrer à ses livres – on croise Oprah Winfrey, la papesse de la télé américaine, à la sixième ligne de The Anomalies. Il avoue sa passion pour un sport, le catch, qui pourrait être l’équivalent américain du foot chéri d’Hornby, et auquel il consacre une grande partie de Commonwealth, son dernier roman encore non traduit.
Joey Goebel ne le savait peut-être pas, mais il appartient à une famille littéraire dont les meilleurs représentants ont, sans autre prétention que de divertir, amené des centaines de milliers de gens à lire de bons romans. Il est de ceux qui ont, pour leurs lecteurs, la même importance qu’une vraie belle chanson pop, capable de faire jaillir la profondeur de la légèreté.
I The Anomalies (Editions Héloïse d’Ormesson), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Samuel Sfez, 226 pages, 19 €
Torturez l’artiste ! (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 386 pages, 8,20 €
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