Cité comme une référence par Vald, suivi par une large communauté de fans sur les réseaux, Freeze Corleone est un rappeur aussi mystérieux et discret qu’influent et novateur. Lui aussI a marqué l’année 2017. Au point que l’on en vienne à se poser une question : mais qui est-il vraiment ?
La scène se passe sur Facebook. Après plusieurs semaines d’attente, Freeze Corleone, à qui on avait envoyé une liste de questions à laquelle il avait initialement souhaité répondre, revient enfin vers nous. Avec une réponse qui n’aurait même pas de quoi faire jalouser un tout jeune wikipédista : « Je suis né aux Lilas, j’ai grandi à Pantin et j’ai fait mon lycée à Dakar ». Cette phrase, que l’on peut voir comme un bras d’honneur adressé aux médias ou simplement comme une volonté finalement naturelle de rester discret, dit en tout cas toute la complexité de ce rappeur et producteur français, qui multiplie les alias (Chen Zen, Professeur Agrégé) et s’autorise tous les délires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Un peu comme Ra’s al Ghul dans Batman »
Pour comprendre comment Freeze Corleone pense ou agit, mieux vaut donc se fier à son entourage, à tous ces mecs (rappeurs ou non, producteurs ou pas) qui gravitent autour de lui et ont fini par comprendre que ce MC de 26 ans aux dents du bonheur et au tatouage 2Pac sur le bras droit était de ces artistes que l’on dit indomptables. Control-freak, presque : « Freeze, c’est un stratège, un mec qui ne fait rien bêtement et qui calcule chacun de ses gestes ou chacune de ses sorties », tient à préciser Zuukou Mayzie. Cet ami d’enfance et ancien compagnon de classe au sein du lycée français Jean Mermoz à Dakar ose même une comparaison : « C’est un peu comme Ra’s al Ghul dans Batman, un personnage mystérieux, habile, intelligent et à la tête de la Ligue des Ombres ».
Ce groupuscule souterrain auquel fait allusion l’auteur de Disneyland, c’est le collectif 667 (Lala &Ce, Kix Kaki, Ekip, anciennement Jorrdee). Soit un crew formé à l’initiative de Freeze Corleone il y a six ou sept ans, révélé en 2014 grâce à une mixtape spéciale Noël (66.7 Radio) et partagé aujourd’hui entre Paris, Lyon et le Sénégal. Le tout, sans jamais faire appel à des collaborations extérieures ou proposer autre chose qu’un univers pointu, presque lugubre parfois : « Contrairement à moi, Freeze est un fin connaisseur du hip-hop, mais je pense sincèrement que l’on s’est tous construits sans avoir de modèles précis en tête. Au sein du collectif, chacun écoute ce qu’il veut, chacun amène son délire », nuance Zuukou Mayzie. Afin d’être complet, il ajoute : « Le seul lien commun, finalement, c’est l’aspect religieux, voire superstitieux. 19, l’addition de 6, 6 et 7, c’est un chiffre très important dans l’Islam, qui caractérise le début et la fin. »
Un style unique
On comprend mieux pourquoi la dernière et quatrième mixtape de Freeze Corleone se nomme FDT (Fin des temps) et se voit dotée d’une pochette reprenant les signes annonçant l’apocalypse indiquée par un compagnon du prophète dans le Sahih Muslim. « Ça ne se ressent forcément pas au premier abord, mais on dit pas mal de choses en rapport à la religion », enchérit d’ailleurs un Zuukou Mayzie qui ne croit pas si bien dire : derrière ses punchlines égotripées, ses gimmicks et ses phrases souvent cryptiques, Freeze Corleone déploie en effet une réflexion et des références qui forcent l’admiration.
De l’eschatologie musulmane (« Euphrate bientôt asséché ») à DC Comics ou aux mangas, le MC fascine par sa capacité à s’approprier des univers pour mieux les reformuler dans un flot lancinant de mots ésotériques, finement pensés et nourris de pop culture. Ce qui explique sans doute pourquoi Zuukou Mayzie parle de lui comme d’un mec qui « aurait pu être astrophysicien, qui était super fort en maths et qui se sert aujourd’hui de ce savoir scientifique dans sa musique », d’un mec hyper cultivé avec qu’il « traine jusque six heures du matin à regarder des films et à les critiquer lorsqu’il débarque à Paris. »
Validé par le rap français
Visiblement, Freeze Corleone passe également pas mal de temps à travailler son flow, très singulier et parfaitement envoûtant : « Négro, j’écris comme en 2021 », rappe-t-il d’ailleurs sur Ékip, comme pour rappeler qu’il est en avance sur son temps et qu’il mérite indéniablement les louanges balancés à son sujet par Vald, Nekfeu ou encore Alpha Wann et Hologram Lo’.
On les comprend : à l’écoute de Benjamins Bleus (écrit en référence au ricain Peewee Longway, dont l’album Mr. Blue Benjamin fait référence aux billets de 100 dollars à l’effigie de Benjamin Franklin) ou Madara, le talent est là, l’insolence aussi, et c’est dans ces ambiances savamment millimétrées, riches en sous-textes, que sa musique prend une vraie valeur artistique. Le style et les refrains accrocheurs sont omniprésents, les références au cloud rap ou à la scène de Miami également, mais Freeze Corleone n’en oublie pas pour autant de complexifier l’ensemble. Histoire de rappeler, une fois pour toutes, qu’il est inutile de le comparer à qui que ce soit.
{"type":"Banniere-Basse"}