Un grand film pyromane, tourné en 1978 par le poète fantasque Adolpho Arrietta, renaît de ses cendres.
Tout commence, nocturne, dans une chambre d’enfant. De son lit, la petite Barbara voit la silhouette sombre et le casque luisant d’un pompier se découper dans le cadre de la fenêtre. Cris et bris font accourir le père, qui s’emploie à la persuader que ce n’était qu’un rêve. Elle sait qu’elle ne dormait pas. Devenue jeune femme, dans la même grande maison de campagne isolée, Barbara (Caroline Loeb, avant “la ouate”) pense toujours à son pompier, sous les regards du père (le philosophe Dionys Mascolo) et du frère (Pascal Greggory). Elle ne pense qu’à ça, fantasme casqué et sanglé qui la fait vivre, idée de cuir dans le ciel de son désœuvrement.
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Adolpho Arrietta, Cocteau espagnol exilé dans l’underground parisien des années 70, cinépoète des travestis durassiens, sait bien que “réaliser son fantasme” ne veut rien dire, moins encore au cinéma, art des supposés réalisateurs. Si le film est reclus dans cette maison pleine de portes qu’une galerie de personnages en visite passe son temps à ouvrir, fermer, frapper avec ou sans réponse, c’est pour mieux indiquer la possibilité d’un dehors.
La scène primitive de l’amour père-fille, prise au Sade d’Eugénie de Franval, est d’abord subvertie par l’irruption obsédante d’une sexualité qui se pare des atours lunaires du rêve et du surnaturel. Contre toutes les portes, la fenêtre, cadre et écran du fantasme.
“Je ne suis pas un pompier par vocation, je suis un pompier par hasard”, s’excuse, d’un fort accent espagnol, le beau soldat du feu convoqué dans la chambre. Barbara ne laisse rien au hasard. Elle exécute son plan, invoque sa vision en criant au feu, simulant au téléphone l’étouffement d’une enfumée. Elle choisit son pompier, elle met en scène son sauvetage, elle rejoue son asphyxie.
Désormais, la fenêtre s’ouvre à l’entrée de cet ange impassible, sauveur
de comédie légère, qui s’enferme avec elle une fois l’uniforme débouclé.
Vivre son rêve n’est pas suffisant. Barbara a quitté le théâtre d’ombres de la maison familiale, elle quitte aussi la mise en scène rodée de son plaisir. Son feu en finit avec les extincteurs. L’amour opère, la pyromanie devient pyromantisme, le hasard triomphe de la vocation.
Adolpho Arrietta n’est pas un enfumeur de rêves, plutôt un allumeur de réveils : la fenêtre n’est plus le cadre fantasmatique d’une entrée, mais l’ouverture d’une sortie. Sortie du film lui-même – le sapeur et la petite fille s’envoient dans les airs, out two. Ils jouent au fantasme du cinéaste, celui du vers de Mallarmé : “J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre.”
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