Bien qu’on ait beaucoup dit du mystère Monk, il semble inépuisable. En quelques années, celui dont on a fait le prophète du bop a écrit à peu près soixante-dix morceaux dont le pouvoir de fascination reste intact. Parmi les pianistes, on lui connaît peu de descendants, à part Randy Weston et Mal Waldron. Et en […]
Bien qu’on ait beaucoup dit du mystère Monk, il semble inépuisable. En quelques années, celui dont on a fait le prophète du bop a écrit à peu près soixante-dix morceaux dont le pouvoir de fascination reste intact. Parmi les pianistes, on lui connaît peu de descendants, à part Randy Weston et Mal Waldron. Et en dehors de Steve Lacy (autre déconstructeur au lyrisme né des oppositions les plus abruptes) et du producteur Hal Willner ? qui avait concocté dans les années 80 un décapant hommage fait de relectures iconoclastes où se côtoyaient notamment Eugene Chadbourne et Peter Frampton ?, rares sont ceux qui ont su faire leurs ses étrangetés calculées, tant les compositions de Monk, malgré des mélodies évidentes, sont le fruit d’un art perverti par les dissonances, où l’harmonie et le rythme sont constamment bousculés.
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Monk, parce qu’il n’a eu de cesse de triturer et ressasser ses morceaux comme s’ils étaient son dilemme, en slalomant sans arrêt entre l’hésitation et la prolixité, s’avère, au-delà de son irréductible singularité, difficilement assimilable. On sera donc surpris qu’un groupe actuel se soit lancé dans une entreprise aussi folle que de reprendre l’intégralité de ses morceaux, et qu’il ait réussi l’impossible : faire de cette somme colossale un hommage d’une grande justesse. Pour cela, un énorme travail de transcription a été nécessaire en amont, cette musique ayant été peu documentée, car leur signataire voulait que les musiciens l’apprennent en l’écoutant, pas en la lisant. Afin d’éviter l’indigestion, la chose a été pensée comme un arrangement global du song book, et non comme un travail encyclopédique qui aurait consisté à enfiler les standards à la queue leu leu. Enfin, le tout a été rodé en public avant d’être enregistré dans ces conditions, comme le faisait souvent Monk.
A l’origine de cette affaire, on retrouve le leader d’une des grandes formations cultes du free (le Globe Unity Orchestra), Alexander von Schlippenbach, qui est surtout un pianiste capable de jouer stride, bop ou free ? une nécessité en pareil contexte. En dehors de leurs parcours respectifs très pointus, ceux qui l’entourent évoluent depuis longtemps au sein d’un quartet soudé, spécialisé dans le jazz moderne. Grâce à eux, ce sont carrément des diamants inattendus que l’on redécouvre, au milieu de merveilles que l’on connaît par cœur. Cependant, le plus étonnant n’est pas là, mais dans leur ingénuité savante ? et monkienne en diable ? face à une œuvre aussi imposante. Loin de la statufier, ce sont au contraire ses contrastes qu’ils font ressortir, sans jamais succomber à la facilité d’introduire des barrières artificielles. Au lieu de ça, chaque morceau est attaqué avec une fluidité cassée qui renvoie aux humeurs légendairement changeantes de Monk. En fait, outre du respect, il fallait surtout de l’audace. Et qu’elle soit au rendez-vous explique la réussite de cette dinguerie ô combien fidèle à l’esprit du dédicataire.
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