Idole de la génération des baby-boomers, Johnny a croisé huit présidents de la République, qui presque tous ont tenté de récupérer son extrême popularité. Mais, de Giscard à Sarkozy, c’est vers la droite de l’échiquier politique que le chanteur a toujours penché.
Tout de noir vêtu, planté devant le chœur de l’armée française, Johnny interprète “Un dimanche de Janvier” en hommage aux victimes des attentats de 2015. Ce 10 janvier 2016, place de la République, à Paris, le rockeur s’adresse à la République en deuil et recouverte de fleurs. Le choix du chanteur populaire pour incarner l’esprit du 11 Janvier déplaît aux amis de Charlie Hebdo, qui n’a jamais été l’ami de Johnny. “Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, (il) est le chanteur vivant qui incarne la France”, justifie le cabinet d’Anne Hidalgo. Son pote Carlos disait de lui : “Johnny, c’est le Victor Hugo de la rengaine, s’il meurt la France s’arrête.”
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Johnny Hallyday, qui a connu les huit présidents de la Ve République, fut de toutes les modes : yé-yé, rock, soul, blues, hippie psychédélique, en veste à paillettes ou blouson noir. “C’est grâce à lui qu’on vibre ensemble. Et devant lequel s’incline, chacun à sa façon, un François Mitterrand, un Jacques Chirac, un Nicolas Sarkozy”, écrit le sociologue Michel Maffesoli dans Iconologies (Albin Michel). De l’extrême gauche à la droite, tous ont cherché avec plus ou moins de succès à s’approprier son incroyable popularité et l’aura de sa longévité.
“Les parents bien-pensants interdisent de l’écouter”
Johnny Hallyday, illustre représentant de la génération dorée des baby-boomers, n’a connu ni la guerre, ni Hitler. Abandonnée par son père, sa mère le place auprès de sa tante paternelle, danseuse, et du compagnon américain de l’une de ses cousines. Le jeune Jean-Philippe Smet parcourt l’Europe aux côtés de ces artistes de music-hall auprès desquels il se fera la main. A ses débuts, il se fait passer pour le fils d’un cow-boy, avant que Charles Aznavour lui conseille de cesser de fabuler. Nourri au rock US, il se produit tout jeune dans la mythique salle du Golf Drouot, où il croise Robert Hue, chanteur des Rapaces. A 17 ans, c’est déjà un phénomène de scène. “Son éducation,c’est la dureté du travail, la compétition, l’idée d’être n°2 de sa catégorie lui sera insupportable”, raconte Jean-François Brieu, auteur de Johnny, une passion française (Editions du Layeur).
Avec d’autres, il importe en France le rock des Etats-Unis, style fustigé alors par une partie de l’extrême gauche et par la France conservatrice soucieuse des valeurs familiales – François Mauriac s’indignait du “delirium tremens érotique” du rockeur. “Au début des années 1960, les parents bien-pensants interdisent de l’écouter”, se souvient Jean-François Brieu. Mais Johnny devient rapidement un rebelle sympa, invité à chanter en 1963 à l’arbre de Noël de l’Elysée. Au début de sa carrière, il fait preuve d’un réel talent de caméléon entre rébellion, académisme, outrances et commerce.
“Sa rébellion est une insurrection cool contre l’injustice du monde, qui fait partie de l’identité française”
Le jeune chanteur soulève rapidement des enthousiasmes haut placés. Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré, Barbara se proposent de lui écrire des chansons. “Il joue sur le côté blouson noir mais ne secoue pas les colonnes du temple. Sa rébellion est une insurrection cool contre l’injustice du monde, qui fait partie de l’identité française. Il est déjà fédérateur”, estime Yves Santamaria, auteur de Johnny, sociologie d’un rocker (La Découverte).
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Dans Génération sans pareille : les baby-boomers de 1945 à nos jours (Tallandier), l’historien Jean-François Sirinelli explique : “Porté par une classe d’âge particulièrement étoffée, il était l’‘idole’ de beaucoup de ‘jeunes’, le spectre démographique concerné étant très large : né en 1943 et chanteur de rock acculturé, ‘Johnny’ séduit aussi bien ceux qui lui sont directement contemporains qu’un public plus jeune.” Et il rassure les aînés lorsqu’en 1964 il remplit ses obligations militaires et, en permission, épouse Sylvie Vartan l’année suivante. Quand, en 1966, Antoine chante ses Elucubrations et propose de mettre “Johnny Hallyday en cage à Medrano” (fameux cirque de l’époque), Hallyday réplique avec un manifeste anti-contestataire, Cheveux longs et idées courtes, en idole des jeunes de droite.
Les événements de Mai 1968 “ne (le) concernaient pas”
Dans un premier temps, les événements de Mai 1968 le laisseront indifférent – “Ils ne me concernaient pas”, dira-t-il dix ans plus tard. Il fait la une des magazines, s’achète des belles bagnoles et flambe sa gloire dans des virées en boîte avec Patrick Balkany. Au début des années 1970, il raccroche à l’air du temps, notamment lors de sa collaboration avec le jeune journaliste passionné des Etats-Unis, Philippe Labro, qui lui fera proclamer “Jésus-Christ est un hippie” et chanter un Christ marginal adepte de la “marie-jeanne”. S’ouvre alors une période plus engagée sur l’écologie, la jeunesse, le nucléaire, sans aller jusqu’à épouser les thèses de Daniel Cohn-Bendit ou des trotskystes. “Hallyday n’était pas un homme engagé politiquement, il était porté par un grand courant populaire, le rock’n’roll”, estime aujourd’hui l’ancien secrétaire national du PCF Robert Hue.
“On écoutait (aussi) Johnny dans les usines occupées de Mai 68”, précise Yves Santamaria. Les banlieues rouges adorent Johnny. Pourtant en 1963, le PCF publie, en référence à Salut les copains, Bonjour les amis, qui dénonce le chanteur millionnaire fan des Etats-Unis. “Le journal doit bientôt faire machine arrière, publiant des lettres de lecteurs prenant la défense de Johnny”, rappelle Santamaria. Alors que Maurice Thorez peine à percevoir le bouleversement apporté par la musique rock, Louis Aragon et Elsa Triolet ne tarissent pas d’éloges sur le chanteur qui symbolise les aspirations d’une jeunesse dont il ne faut pas se couper.
Invité à jouer à la fête de l’Humanité en septembre 1966, il ne pourra honorer la date car, déprimé et épuisé, il a tenté de se suicider. En 1985 et 1991, il est enfin à l’honneur sur la scène de la fête de l’Humanité, triomphant à l’applaudimètre sur le Premier secrétaire de l’époque Georges Marchais, que le chanteur appréciait.
Un T-shirt “Giscard à la barre” à la main
C’est pourtant avec Valéry Giscard d’Estaing, libéral de droite pro-européen, que Johnny Hallyday soutient pour la première fois un candidat à la présidentielle. L’élection de 1974 marque les débuts de la peopolisation de la politique. Johnny Hallyday pose aux côtés de Danièle Gilbert, Chantal Goya et Anne-Aymone Giscard d’Estaing, un T-shirt “Giscard à la barre” à la main. Après la victoire de François Mitterrand en 1981, Jack Lang prend les rênes de la culture. Paris n’a pas de grande salle de concerts. “Une situation insupportable. Johnny sera étroitement associé à la réflexion et la création du Zénith”, se souvient l’ancien ministre. Le chanteur viendra l’épauler en 1986 à Blois lors des législatives.
En 1988, Johnny Hallyday soutiendra ouvertement Jacques Chirac, dont sa marraine Line Renaud est un appui zélé. “Le socialisme à l’ancienne, celui de la redistribution, c’est pas son monde, le monde de Johnny c’est : on met le bifteck au milieu de la table et le plus fort va le bouffer”, explique Yves Santamaria. En 1983, Johnny Hallyday interprète Signes extérieurs de richesse, et un an plus tard l’indigeste Ne tuez pas la liberté.
“Nous avons tous en nous quelque chose de Jacques Chirac”, lâche Johnny devant 80 000 personnes
20 mars 1988. C’est le grand meeting du RPR de la campagne du candidat-Premier ministre Jacques Chirac. Sur la scène de l’hippodrome de Vincennes, Johnny Hallyday en chauffeur de salle de luxe chante Je t’attends pendant que Chirac fend la foule. Johnny lui dédie son titre phare Quelque chose de Tennessee. “Nous avons tous en nous quelque chose de Jacques Chirac”, lâche-t-il devant 80 000 personnes. Un détournement pas du goût de l’auteur de la chanson, Michel Berger, soutien de François Mitterrand. Cette prestation permet à Chirac de répliquer au Président qui s’est adjugé les faveurs de Renaud et Gérard Depardieu, en plus des traditionnelles figures de l’intelligentsia.
Malgré les avances de Jack Lang, auquel le chanteur n’est pas indifférent du fait de sa politique de soutien à la création, l’alliage chiraquien à base de France profonde et de milieux d’affaires convient mieux au chanteur que la gauche au pouvoir. Mais, malgré ses positions libérales, Johnny Hallyday trouvera “une oreille attentive auprès des gouvernements successifs, de gauche comme de droite, lorsqu’il s’agit de plaider la cause des artistes en matière de fiscalité et de propriété des œuvres. Ou encore de prôner une politique de quotas”, précise Yves Santamaria.
Une grande proximité avec Nicolas Sarkozy
Jamais le chanteur ne fraiera avec le Front National. Entre les deux tours de 2002, il se fend d’une déclaration anti-lepéniste sans équivoque. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a fait de son attachement au chanteur un élément de sa stratégie de communication, destinée à lui valoir les faveurs de la “France d’en bas” après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Johnny Hallyday est en effet le chanteur préféré des pauvres et des déclassés.
C’est avec Nicolas Sarkozy qu’il ira le plus loin. Le couple Hallyday, que Sarkozy a marié en 1996 à Neuilly-sur-Seine, fera partie des personnalités du monde de l’argent et du show-biz conviées au Fouquet’s le soir de sa victoire. “Ce soir, (Johnny) est numéro deux. Il a été de tous les moments, de toutes les images. De la proclamation des résultats, des premières étreintes familiales, des appels et des hommages des capitales étrangères au quartier général”, écrivent les journalistes Ariane Chemin et Judith Perrignon dans La Nuit du Fouquet’s (Fayard). “Côte à côte, ils racontent ce soir une histoire bien française. Passée la frontière, la fascination tombe. Mais, ici, ils ont pour eux la ferveur populaire, contre eux la circonspection des sachants prétentieux.”
Malgré le départ en Suisse fin 2006 de Johnny Hallyday pour des raisons fiscales, le candidat Sarkozy, contrairement à Chirac, se montre compréhensif, sa promesse de bouclier fiscal en bandoulière. “Avec tout ce que j’ai donné au fisc depuis que je trime et que je mouille ma chemise, j’aurais pu payer un porte-avions à la France”, lâche Johnny à Paris Match en décembre. Ses relations avec François Hollande seront atones. Même si, comme le rapporte son ancien dir com Gaspard Gantzer, “Johnny faisait partie des chanteurs favoris de François Hollande et de son secrétaire général, Jean-Pierre Jouyet. Johnny est avant tout consensuel”.
“Emmanuel Macron est over fan de Hallyday”
Il semble mieux s’entendre avec le couple Macron. “Emmanuel Macron est over fan de Hallyday”, se souvient Gantzer. Les deux hommes, de la même promo de l’ENA, tuent l’ennui strasbourgeois dans un karaoké au nom de sex-shop, le Bunny’s Bar, sur l’air de Gabrielle ou Quelque chose de Tennessee. Lorsqu’au printemps 2017 les médias annoncent que Johnny Hallyday est atteint d’un cancer, le jeune président et sa femme Brigitte l’invitent à dîner – a-t-elle partagé ses souvenirs musicaux avec le chanteur ? lui fait-il penser à Giscard ?
Chanteur quadra, quinqua, sexa puis septuagénaire, Johnny Hallyday doit en partie sa longévité aux affinités culturelles de la génération baby-boomer qui pendant longtemps a dicté les tendances de la culture de masse. “Il demeure l’homme d’une seule génération (…), celle d’un monde disparu : la France d’avant la grande mutacrise”, écrit Jean-François Sirinelli. Cette longévité a donné le sentiment à cette génération qu’elle n’a pas trop vieilli en frustrant la suivante. Si tout est pardonné au Johnny mortel, ses faiblesses, ses excès, que survivra-t-il du Johnny symbole sinon le sentiment d’enfin tourner une page de l’histoire de France ?
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