Que vaut le système éducatif français face à celui des pays étrangers ? En distinguant un petit nombre d’élèves sans élever le niveau des autres, il n’est ni juste ni efficace, répond ce spécialiste de l’école. L’Analyse du sociologue Roger Establet.
L’école française, dites-vous dans votre dernier livre avec Christian Baudelot, est “l’une des meilleures du monde pour une petite moitié de ses élèves et l’une des plus mauvaises pour l’autre moitié”. Comment expliquez-vous cette dichotomie ?
Nous rapportons seulement le diagnostic de Christian Forestier, Claude Thélot et Jean- Claude Emin (dans Que vaut l’enseignement en France ?, 2007), auquel nous apportons un important correctif. Nos meilleurs élèves sont bons, c’est entendu. Ils rejoignent la moyenne des meilleurs pays. Mais ils ne sont pas meilleurs que les meilleurs élèves de l’OCDE. En ce sens, notre diagnostic est plus pessimiste : la France souffre d’un échec scolaire trop important et du nombre insuffisant de ses élites.
Que vous enseignent les comparaisons avec les statistiques des pays regroupées dans les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) ?
La leçon principale nous paraît être la suivante : moins un système scolaire engendre d’échecs scolaires et plus nombreuses sont les réussites excellentes. La France souffre par les deux bouts. Mais savoir que les efforts en faveur de l’égalité débouchent sur l’excellence offre une piste optimiste pour l’action collective. En cherchant à relever le niveau des plus faibles, on ne perd pas son temps puisque, ce faisant, on améliore le niveau des plus forts. Les comparaisons internationales montrent que la volonté de sélectionner au plus tôt des élites restreintes aboutit à de piètres résultats. Il faut jouer à plein, comme les pays qui réussissent, la carte du tronc commun, éviter les filières déclarées ou clandestines, combattre le redoublement, construire des formes de soutien non ségrégatives. Il y a des pays où ces objectifs n’ont rien d’utopique et font partie de la vie quotidienne des écoles. On n’est pas obligé de les copier ; mais on peut s’inspirer de leur réussite.
La culture du classement, de l’élimination précoce, la tolérance aux inégalités et à leur reproduction, déjà repérées par Bourdieu et Passeron dans Les Héritiers en 1964, restent donc propres à notre système éducatif ?
Certes non. La leçon de Pisa est bien que les découvertes de Bourdieu et Passeron, contemporaines de celles du sociologue américain James Coleman, ont une portée internationale. Il n’est pas un pays de l’OCDE ou des pays partenaires qui ait établi l’égalité sociale des chances. Partout, les écarts sont au bénéfice des classes favorisées. Mais l’ampleur des écarts est très différente : les écarts de 62 points en Islande, pour les mathématiques, sont en France de 115 points. Pour la reproduction des inégalités sociales et culturelles, la France occupe un triste premier rang en culture scientifique, et de peu glorieux seconds rangs en compréhension de l’écrit et en mathématiques. Meilleure est l’école et moins les effets de l’inégalité sociale s’y font sentir. L’inégalité culturelle, présente partout, n’est pas pour autant une fatalité.
La réforme du système estelle alors possible ?
Les pays étrangers (Finlande, Canada, Corée du Nord) nous montrent que c’est possible. Les réformes entreprises en Pologne depuis 2000 commencent à porter leurs fruits en termes de résultats. Tout dépend de la volonté collective. Et cela ne concerne pas seulement l’école : une bonne part des inégalités est liée à l’inégalité des quartiers, qui crée des différences entre les collèges. Reste à savoir si la mixité sociale, condition de l’efficacité scolaire, fait partie des priorités des Français.
Ecole de masse ou école de l’excellence : sommes-nous condamnés à choisir, ou au contraire l’une dépend-elle de l’autre ?
Toutes les données de Pisa tendent à montrer que le nombre et la qualité des élites dépendent de la qualité de la formation donnée à tous. L’exemple du sport devrait aisément nous en convaincre. En France même, le développement du sport de masse a engendré des élites nombreuses.
Qu’est-ce qui vous semble le plus urgent à modifier dans l’organisation scolaire ?
Christian Baudelot et moi l’avons toujours dit : il faut combattre le redoublement, forme clandestine de sélection et mesure inefficace de rattrapage scolaire. Et, bien sûr, susciter une réflexion collective sur l’évaluation de notre système d’enseignement.
La politique de Xavier Darcos vous semble t-elle aller dans le bon sens ?
La chancelière Angela Merkel, au vu des résultats de Pisa, qui ne sont pas meilleurs pour l’Allemagne, a fait la tournée des Länder pour essayer de dégager des solutions. Elle a en particulier insisté sur le développement de l’enseignement préélémentaire, manière de construire à la base le noyau d’un tronc commun. Je n’ai pas vu que nos ministres se soient occupés de rechercher des solutions à l’inefficacité de notre système ni de répondre explicitement aux diagnostics de Pisa. De toute manière, ces solutions ne peuvent relever que d’une action collective. L’école est une société et, comme toute société, elle ne se transforme pas par décret.
L’Elitisme républicain, l’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, avec Christian Baudelot (Seuil-La République des idées)