Bientôt à l’affiche de Closet Monster, le comédien et musicien franco-canadien de 24 ans nous parle de son rapport aux femmes, à la musique, au cinéma et aux inquiétudes existentielles de sa génération.
Son premier LP sorti cette année, Eleven Songs, annonça l’été avec sa douceur pop-folk à mi-chemin entre les regrettés Elliott Smith et Her. Au cœur de l’hiver, Aliocha est de retour dans Closet Monster, premier long métrage du jeune réalisateur canadien Stephen Dunn, en salles mercredi 13 décembre. Dans ce récit d’un outing compliqué, Aliocha Schneider joue le rôle de Wilder, un jeune homme très séducteur qui apprend au personnage principal à se laisser porter par son désir. Au lendemain de son septième concert parisien, l’acteur-songwriter évoque pour nous sa famille, le rapport homme-femme en 2017, et les angoisses de la jeunesse contemporaine.
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“En fait, moi je ne le vois même pas bisexuel mon personnage. Je l’envisage plutôt comme un hétéro qui a un tempérament très séducteur”
Comment es-tu entré en contact avec Stephen Dunn ?
Aliocha Schneider — A l’époque j’enregistrais mon premier EP à Paris. J’ai directement été contacté par Stephen. J’ai fait des essais filmés depuis la France avec Niels (l’un de ses deux grands frères – ndlr ) qui me donnait la réplique. On s’est ensuite vus à Montréal et j’ai lu le scénario que j’ai adoré. J’ai été séduit par Stephen, qui n’avait que 25 ans à ce moment-là, et qui réalisait son premier film avec une histoire très personnelle. Il m’en parlait avec les larmes aux yeux.
C’était la première fois que tu interprétais un personnage gay dans un film ?
Ce n’était pas la première fois, mais en fait, moi je ne le vois même pas bisexuel ce personnage. Je l’envisage plutôt comme un hétéro qui a un tempérament très séducteur. A mon avis, il aime vraiment les femmes tout en n’ayant aucun problème avec le fait d’embrasser un mec. C’est plus un geste d’amitié. Il veut lui montrer à quel point exprimer ses désirs est simple et sain. Il y a une ambiguïté c’est vrai, mais je trouve ça plus beau s’il est hétérosexuel.
“La pratique artistique était assez démystifiée dans notre famille, et paraissait donc sans doute plus accessible”
Toute la fratrie Schneider évolue dans un milieu artistique : Niels est acteur, césarisé en début d’année pour Diamant noir d’Arthur Harari ; Volodia est ton batteur ; Vassili est apprenti réalisateur ; et Vadim, l’aîné comédien, est mort tragiquement pendant un tournage en 2003. Comment expliques-tu cette aptitude familiale?
Je suis né d’une mère mannequin et d’un père qui était à l’époque comédien à Paris. On était une famille qui allait souvent au théâtre et au cinéma. Mais on n’a jamais été poussés à faire de l’art. Chacun notre tour, individuellement, on s’est retrouvé là-dedans de notre propre chef. En fait, la pratique artistique était assez démystifiée pour nous, et paraissait donc sans doute plus accessible. Cette confiance m’a aidé à arrêter l’école juste après l’équivalent canadien du bac pour me consacrer quasi exclusivement à la musique.
N’y a-t-il jamais eu une forme de compétition entre vous ?
Non, jamais. On s’inspire artistiquement les uns les autres tout en ayant chacun notre personnalité, le désir de tracer notre propre route. Par exemple, on a toujours refusé de faire un interview ensemble. On ne veut pas exprimer un message commun au nom de la famille Schneider. Mais je reste hyper fier de ce que fait Niels, c’est génial de faire de la musique avec Volodia, et mon petit frère Vassili veut être réalisateur. Il est en ce moment à Beaune pour suivre les cours de l’école de cinéma de Claude Lelouch.
“Moi et mes frères avons appris à ne pas cacher notre part féminine, à tout ouvrir et à tout assumer”
Même si vous ne formulez pas de message commun, il me semble que vous véhiculez une vision commune, celle d’une masculinité assez sensible. Est-ce un aspect dont tu as conscience?
Mon père m’a toujours dit qu’on avait en nous une part masculine et une part féminine qui n’étaient jamais trop développées l’une par rapport à l’autre. On a tous appris à ne pas du tout cacher cette part féminine, à tout ouvrir et à tout assumer.
Trouves-tu que les choses changent sur ces questions du genre et de l’orientation sexuelle ?
Absolument, ça change, mais seulement dans certains milieux. J’ai l’impression que c’est moins un problème pour un jeune comédien actuel de révéler son homosexualité. Alors qu’on le voit avec Kevin Spacey : c’était encore tabou il y a peu. La dernière génération d’acteurs l’assume plus, sans qu’ils soient pour autant cantonnés à des rôles d’homosexuels. Je pense à Ellen Page, Kristen Stewart, Brandon Flynn, Jonathan Groff… Ou même en musique à Sam Smith, Frank Ocean, St. Vincent… J’ai l’impression que ça va dans le bon sens.
Concernant le débat sur les rapports homme-femme qui agite la société, trouves-tu qu’il y ait une différence entre la France et le Canada ?
J’ai l’impression qu’en France, il y a quelque chose de plus arriéré dans le rapport homme-femme. Par exemple, on donne encore l’addition à l’homme au restaurant, on va d’abord dire bonjour à l’homme dans les magasins… Ce genre de choses est impossible au Québec, ça ne nous viendrait jamais à l’esprit. J’ai aussi l’impression qu’ici, les femmes draguent moins ouvertement les hommes qu’au Québec. Mes amies n’ont aucun problème à faire le premier pas, à évoquer leur vie sexuelle, la masturbation féminine, autant avec leurs amies que leurs amis. Ça me semble plus rare en France.
“Notre génération a le sentiment que tout est possible mais il en résulte paradoxalement une sorte de pression. On ne sait pas trop quoi faire et c’est culpabilisant”
Quels sont les derniers films ou séries qui t’ont plu ?
En série, je viens de finir la seconde saison de Stranger Things : je n’ai pas du tout apprécié, notamment cet épisode 7 avec l’escapade d’Eleven qui n’est pas du tout crédible. Sinon je suis très peu allé au cinéma, c’est ma pire année dans le genre. Mais je suis fan de Jeff Nichols ou de Leos Carax, dont j’attends d’ailleurs avec impatience le prochain film, qui sera une comédie musicale je crois. J’ai aussi récemment vu Barbara, que je n’ai pas aimé, bien que j’adore Mathieu Amalric. Je crois que c’est mon acteur préféré, avec Denis Lavant. J’admire leur jeu torturé.
Te définirais-tu toi-même comme quelqu’un de torturé ?
Pas torturé à ce point, mais très anxieux, oui. Je ne cesse de remettre en question ce que je fais. La musique m’aide énormément, pas à y répondre mais à donner à ces questionnements une transcription tangible. C’est un processus très apaisant pour moi. Je pense que notre génération a le sentiment que tout est possible mais il en résulte paradoxalement une sorte de pression. On ne sait pas trop quoi faire et c’est culpabilisant. Quand tu n’as pas de passion, c’est assez dur d’avoir envie de prendre un chemin dans la vie et de t’y épanouir. Cette angoisse est renforcée par les réseaux sociaux qui nous poussent à vouloir à tout prix nous singulariser, à croire que nous sommes tous spéciaux et que nous avons tous un destin extraordinaire. Il y a cette angoisse de sortir du lot, plus que dans les générations précédentes j’ai l’impression. Nous sommes en permanence dans l’image que nous renvoyons de nous-mêmes. Cette image à laquelle nous sommes tous les jours confrontés crée une friction entre ce que nous aimerions être et ce que nous sommes vraiment.
Propos recueillis par Bruno Deruisseau
Dans les poches d’Aliocha :
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