Que peut-on imaginer de pire pour un musicien que de devoir sa renommée à une série de malentendus ? C’est pourtant ce qui arrive en partie à David S. Ware, colosse fragile et tourmenté du saxophone contemporain, propulsé d’un coup sur le devant de la scène, rival potentiel de jeunes lions aux dents autrement aiguisées… […]
Que peut-on imaginer de pire pour un musicien que de devoir sa renommée à une série de malentendus ? C’est pourtant ce qui arrive en partie à David S. Ware, colosse fragile et tourmenté du saxophone contemporain, propulsé d’un coup sur le devant de la scène, rival potentiel de jeunes lions aux dents autrement aiguisées… Il aura fallu que, au détour d’une question banale concernant la nouvelle génération de saxophonistes ténors, Sonny Rollins balance son nom en pâture, de façon un peu étonnante et anachronique, pour que ce musicien obscur, obstiné, radical dans son engagement, présent de façon diffuse dans la vie musicale new-yorkaise underground tout au long des années 70, voie d’un coup son statut changer du tout au tout. On s’avisa soudain d’un parcours singulier ponctué de rencontres essentielles : Rollins bien sûr, le mentor, qui lui prodigue conseils, inspiration, éthique, lorsqu’il s’installe à Brooklyn en 1969 ; mais aussi Cecil Taylor ou encore Milford Graves, autrement dit la pointe la plus avancée d’une avant-garde éprise d’absolu, confrontée à l’alchimie de l’instant. Peu à peu, David S. Ware resurgit alors, curieusement intact, suffisamment neuf en termes de notoriété pour pouvoir être considéré, au même titre que Joshua Redman ou James Carter, comme un des axes possibles du jazz à venir, avec en prime ce que le marketing ne peut inventer : un parcours, une histoire une épaisseur. Mais, on l’aura compris, S. Ware n’a rien à voir avec ses cadets. Non parce qu’il aurait choisi le free contre le bop, ce qui ne serait somme toute qu’une autre forme de revivalisme. Simplement parce que résolument, frénétiquement, définitivement il joue sa musique et rien d’autre et là où ses confrères s’attachent à une toujours plus irréprochable maîtrise technique, là où leur propos dans le meilleur des cas vise à un syncrétisme oecuménique, lui ne pense qu’énergie, contrôle des flux, exploration des timbres dans un rapport direct avec la matière sonore. Il y a finalement une grande naïveté dans la façon dont David S. Ware persiste à considérer la musique comme véhicule d’une pensée en action, d’une voix singulière, d’un modèle de vie. Mais c’est là, dans cette persévérance un peu butée, que réside la valeur d’un projet à mille lieues de tout plan
de carrière.
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